Après une absence de plus de dix-sept ans, Lyne Charlebois effectue son grand retour au cinéma avec Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles. Une fresque ambitieuse sur le Québec d'hier et d'aujourd'hui, sur la nature au sens large et sur le désir. Le tout tournant autour de la correspondance et de la relation plus qu'amicale entre le frère Marie-Victorin et son étudiante et estimée collègue Marcelle Gauvreau.
Nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec la réalisatrice à quelques jours de la sortie du film dans les cinémas de la province.
À l'origine, la cinéaste a été approchée par le producteur Roger Frappier pour mener le projet à bon port. Si la lecture des mots échangés entre ses deux principaux sujets l'a particulièrement inspirée, ceux-ci représentaient tout de même un important défi cinématographique.
« J'ai lu ça, et j'ai tellement été happée par ces deux êtres tellement avant-gardistes à plein de niveaux. Par contre, c'était un gros puzzle. Comment faire un film avec ça, avec des lettres? Comment rendre le tout fluide, vivant, sans être didactique? », s'est d'abord interrogée Lyne Charlebois.
« Je suis passée par plein d'émotions. Oui, c'est gros, c'est long, il y a beaucoup de bondieuseries. Mais il y avait des passages extraordinaires sur la sexualité. Ce n'était jamais pornographique. Tu ne peux pas être plus clair que ça sans être pornographique. En même temps, c'était poétique, mais pas au point où on occulte tout. C'était vrai, pas cru, c'était très scientifique. »
Un élément qui marque, d'ailleurs, dans le traitement du récit, c'est l'insertion d'une sous-intrigue prenant place au moment présent, impliquant les deux comédiens fictifs qui incarnent Marcelle Gauvreau et Marie-Victorin.
Une initiative qui allait permettre à la cinéaste de s'éloigner des codes du drame biographique traditionnel.
« Dès le départ, je ne voulais pas faire un biopic. C'est un genre qui m'ennuie un peu. Je n'y crois pas, en fait, parce que tu inventes, tu spécules sur ce qu'ils ont dit [...] C'était beaucoup plus touffu avant l'insertion du contemporain. C'est vraiment concentré sur la relation intime entre deux personnes, sur la sexualité (ou pas). Je ne voulais pas que ces deux personnes soient stigmatisés par la religion. En faisant le parallèle entre maintenant et l'époque, tu vois vraiment comment ça ne change pas », explique-t-elle.
Au-delà de la flore, Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles s'affaire également à mettre beaucoup d'éléments narratifs et dramatiques en opposition, en particulier en ce qui a trait à la nature de la relation entre les deux personnages, leur amour de la science et leur désir de faire tomber certains tabous entourant la sexualité.
« L'intimité qu'ils ont eue à travers les mots, c'est plus que deux personnes qui vont baiser ensemble la nuit et qui vont redevenir deux étrangers le lendemain. C'est ce parallèle-là que je trouvais intéressant », souligne d'abord Lyne Charlebois.
« Je ne suis pas pour la chasteté, loin de là, mais il y avait une ouverture d'esprit pour cette époque qui était incroyable. Je voulais me concentrer sur l'amour, et non pas sur le triangle amoureux avec Dieu. Et on parle de foi ici, pas de religion. »
Le long métrage se démarque également en s'éloignant de l'approche plus contemplative à laquelle nous aurions pu l'associer d'emblée grâce, entre autres, à un montage habile, un rythme soutenu, et un grand soin accordé aux dialogues.
« J'aime ça, des dialogues. Un film qui est beau juste pour être beau, ça m'ennuie. S'il n'y a pas de propos, de profondeur, ça m'ennuie aussi. J'aime les échanges, les belles paroles. Ça prend un mélange des deux. Ici, c'est la contemplation, l'attente, les lettres... », exprime celle qui indentifie l'extraordinaire Les enfants du paradis de Marcel Carné comme son film fétiche.
« Le montage, pour moi, c'est vraiment une nouvelle réalisation, une autre lecture, et Yvann Thibaudeau, avec qui je travaille depuis des années, me connaît. Quand je tourne, je l'ai dans la tête. C'est vraiment une création, et Yvann a vraiment fait un beau travail. Je laisse beaucoup de latitude et de liberté à mon monteur, parce que j'aime prendre du recul. »
Alors que le cinéma québécois carbure depuis plusieurs années aux drames biographiques consacrés aux figures les plus marquantes de sa culture et de son Histoire, le parcours du frère Marie-Victorin et de Marcelle Gauvreau se devait d'être l'objet d'un long métrage plus tôt que tard aux yeux de la réalisatrice.
« Il était temps qu'il y ait un film sur Marie-Victorin, sur tout ce qu'il a fait pour le Québec, pour la flore laurentienne. Et c'est elle qui a fait le lexique, c'est extraordinaire », conclut-elle.
Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles prend l'affiche partout au Québec ce vendredi 21 juin.