C'est ce week-end que le film Un été sans point ni coup sûr prend l'affiche partout au Québec. Patrice Robitaille, le jeune Pier-Luc Funk, Francis Leclerc et le scénariste Marc Robitaille font un voyage dans le temps pour parler de baseball, d'un père et de son fils et d'une période de grands changements.
Rencontre avec eux.
Voyez aussi notre galerie de photos du tapis rouge montréalais lors de la première du film, en cliquant ici.
Patrice Robitaille
L’année 1969 est inscrite comme un moment de changement dans les foyers et c’est Charles, le père, qui semble en souffrir le plus. « Charles, c’est la figure paternelle classique. Pourvoyeur, protecteur... un mâle. Qui a l’impression de bien faire les choses, d’être une figure paternelle sécurisante. En même temps c’est comme une masse un peu rigide qui ne bouge pas. »
« Sa femme change, son fils aussi a besoin d’un père plus présent. Il est bousculé alors il décide de bouger un peu plus. »
Comment se joue ce certain décalage qui fait l’humour du film? « Ça se joue assez simplement. Les jokes sont super bien écrites, les partenaires de jeu sont super bons, alors tu t’installes et puis... Ça peut être très simple aussi. Je sais pas, des fois j’ai l’impression que j’aborde ce métier-là avec beaucoup trop de simplicité. C’est de même que je fonctionne, et Francis aussi. »
Connaissiez-vous quelque chose de cette époque-là? « De cette époque-là pas grand-chose, mais on s’entend que j’ai été un petit cul et que j’ai joué au base pis au hockey. J’ai eu un père, j’en ai vu d’autres des pères... Charles, c’est une macédoine de plein de bonshommes que j’ai vus un peu partout. »
Le défi de la reconstitution est immense parce qu’il y a des gens qui ont connu cette époque... « Le scénario est super bien écrit, tu vois que c’est un gars qui a vécu ces années-là... il y a des détails qui ne trahissent pas. Tu le sais que ce n’est pas un gars qui s’est dit qu’il allait écrire sur le baseball au même titre qu’il aurait pu écrire sur la couture. »
Et de se retrouver dans ces costumes rigolos change-t-il la perception qu’on avait du texte? « Rigolos? Avant tout je les trouve laids. Je ne comprends pas comment ils faisaient pour porter des tissus qui respiraient aussi mal. » Reste à savoir si dans 40 ans on dira la même chose de nous...« C’est sûr qu’ils vont dire que c’est laid, mais je pense qu’au niveau des tissus il y a une nette amélioration. »
« Mais pour répondre à ta question, au cinéma, les décors sont tellement vrais. Tu fais une scène, tu as ton kit d’époque, c’est vrai, c’est là, ce n’est pas des images de synthèse. C’est assez facile de juste se laisser aller dans la scène. C’est hyper inspirant, mais je ne pense pas que je sorte mon texte d’une autre manière. »
À ce titre, est-ce que la première prise est meilleure que les autres, plus spontanée? « C’est un peu ça notre travail, de faire en sorte de se réinventer à chacune des takes pour donner l’impression de vivre la situation pour la première fois. Je ne sais pas si je réussis bien ça parce que quand je vois le film je ne sais pas c’est quelle prise. Je dois avoir cette faculté là d’être aussi bon à la première qu’à la huitième, en tout cas j’espère. »
C’est le réalisateur qui doit diriger le tout. « Souvent, j’ai l’impression que lui a sa vision de ce que cette scène-là devrait être, mais c’est surtout une vision d’ensemble. Il ne peut pas penser seulement à mon personnage. Moi, mon attention est plus concentrée sur mon personnage. Il faut faire en sorte qu’il y a une symbiose entre ma vision et la sienne, sans que ça soit du tirage de couvertes. J’aime ça quand il n’y a pas trop de mots, j’haïs ça quand on se perd dans du blabla. Francis, ce n’est pas un verbeux, c’est toujours super clair. »
Pier-Luc Funk
« Je suis arrivé en audition en tant que grand Pete dans le film. À la fin de la journée, ils m’ont demandé d’auditionner pour Martin. Ça a l’air que ça a cliqué. »
Comment était cette première expérience sur un plateau de long métrage? « C’était vraiment drôle de travailler avec Francis, parce qu’on riait, on s’amusait. C’est ça que j’aime de ce métier, la relation avec le monde... Aussi j’aime ça me voir à la télé. » Mais là, ça ne sera pas la télé, ça va être un immense écran! « Le cinéma c’est plus impressionnant... tu fais une game d’improvisation pis après il n’y en a plus, mais un film ça peut rester vraiment longtemps. »
« Je me suis senti bien à travailler avec Francis. Le travail, je pense que l’ai bien fait, sinon il m’aurait demandé de recommencer un million de fois. Je pense que je me suis habitué au tournage. J’étais conscient qu’il fallait que ça roule. Je suis toujours alerte, mais j’avais du fun sur le tournage. »
Que connaissais-tu de l’époque? « Mes parents me racontaient des souvenirs d’enfance mais ils ne me disaient pas comment ils étaient habillés, comment les vélos étaient et comment les gens décoraient leurs maisons. »
Étais-tu un fan de baseball? « Je connaissais les règles parce que mes deux sœurs jouaient à la balle-molle, mais je n’étais pas capable de faire la motion, et je n’étais pas bon pour lancer d’une force à faire des prises, mais on a été coachés par Benoît Lavigne de Baseball Québec. »
Y a-t-il une rôle que tu aimerais qu’on t’offre? « Non, je pense que n’importe quel rôle... quand tu es acteur, ton rôle c’est de jouer des personnages et ne pas toujours être Pier-Luc ou Martin. » Est-ce que tu penses qu’il y a moins d’opportunités à ton âge? « Beaucoup. Souvent c’est des rôles d’adultes ou dans la vingtaine. Souvent les films ont un enfant, deux enfants, mais des films comme ça avec des millions d’enfants qui jouent au baseball, c’est pas souvent que tu vas en voir un.»
En attendant, Pier-Luc Funk incarnera un des personnages principaux de l’émission Tac-tic, qui va remplacer Ramdam à Télé-Québec en janvier.
Francis Leclerc
Le réalisateur de Mémoires affectives change complètement de registre pour ce troisième long métrage. Est-ce que le moment est bien choisi pour faire Un été sans point ni coup sûr? « Là tu penses comme un gars qui pense qu’on est carriériste. Il n’y a pas de bon moment. Les gens oublient que j’ai fait Marie-Antoinette pour la France, j’ai fait Nos étés, j’ai fait de la pub, alors que je fasse un film de baseball après Mémoires affectives, ça ne se peut pas parce que j’ai fait à peu près huit projets entre les deux. Ce n’est pas une suite très logique, mon affaire, et comme on fait toujours quatre ou cinq projets en même temps... »
« Je me cherchais un sujet plus léger, et comme quand moi j’écris ce n’est jamais léger, j’ai voulu plonger dans un autre univers avec le livre de Marc Robitaille. Je pense qu’il y a trop de réalisateurs qui font toujours le même film. Moi, je te jure que c’est le dernier film de baseball que je fais dans ma vie. »
Le film s’adresse quand même à beaucoup plus de gens. « Il y avait un désir de faire un film plus accessible, ça c’est vrai, mais pas à n’importe quel prix. Chaque plan que tu vois dans le film est voulu par moi. Chaque toune est voulue et souhaitée. Pour moi, ce n’est pas une commande et il n’y a pas de compromis. »
« Au Québec, on est soit dans l’hyper-épais commercial ou dans l’hyper deux copies que personne ne va voir. On peut, des fois, faire des films plus accessibles qui ont une signature. Je pense qu’on me reconnaît dans ce film-là. »
Il s’agit aussi de capter l’essence d’une époque... « C’était plus intéressant de faire ce film-là en 69. Ce scénario-là, je ne l’aurais jamais fait en 2008 parce que les mœurs n’auraient pas été pareilles. L’époque apporte beaucoup de jus à la trame. C’est des voyages dans le temps qu’on peut se permettre avec l’art. »
C’est risqué, cependant, parce que les gens ont des souvenirs... « Le danger de ce film-là, c’est une trop grande nostalgie. Si c’était un gars de 52 ans qui avait fait ce film-là, ça aurait été complètement différent. Il serait tombé dans le piège nostalgique de son enfance. Ça aurait pu être bon pareil, mais moi je n’ai pas voulu ça. J’ai frôlé ça sans tomber dedans, je pense. »
Et pour les comédiens? « Je ne les choisis pas nécessairement parce qu’ils sont les meilleurs ou les plus en vue, c’est vraiment à l’instinct. Jamais je ne vais prendre un acteur avec qui ça ne marche pas en audition. » Et comment travaillent-ils? « Patrice est plus instinctif, Jacinthe est plus travailleuse sur chaque détail. Il n’y a pas un acteur pareil, mais ce n’est pas vrai qu’un acteur est meilleur à la 54e prise. Il y en a qui le pensent, mais pas moi. Les enfants c’est généralement la première prise. Les enfants font tout pour la première fois, c’est Truffaut qui disait ça. Ils ne savent pas qu’ils ont l’air niaiseux dans le film. Mais un talent comme Patrice, c’est qu’il est conscient qu’il fait dure habillé en bleu poudre, mais il assume. »
Marc Robitaille
Est-ce que l’intention était plutôt de saisir un moment charnière de l'Histoire ou de faire un film sur le baseball? « Pourquoi pas autant? J’aime bien parler de baseball. Le film c’est aussi un moyen de faire mon deuil du départ des Expos. »
« Et puis je pense qu’il y a des époques comme ça où ça va soudainement très vite. Je pense que c’est peut-être la dernière qu’on ait connue, où il y a eu un choc entre l’ancien et le moderne. Regarde les disques que fait Charlebois en 67-68, et regarde ce qu’il fait en 69-70. Tout est là. »
On parle beaucoup moins de baseball ces dernières années, depuis le départ des Expos justement... « C’est un sport qui est très codé dans une autre époque, avec beaucoup de lenteurs... Si quelqu’un devait inventer un jeu aujourd’hui, la lenteur ne ferait pas partie de la proposition. Moi j’adore les respirations d’un match. »
Est-ce que Francis Leclerc est le meilleur réalisateur pour porter cette histoire à l’écran? « Est-ce qu’il a fait le travail que j’espérais pour ce film-là? Oui, absolument, oui. Il a fait une super job avec ça parce que justement, il vient d’ailleurs. Il vient d’une autre génération, le baseball, à la limite il a joué mais il n’en fait pas une religion comme moi. Il a vu là-dedans quelque chose qui l’interpellait d’une certaine façon. »
« Tout le monde sait ce que c’est que de ne pas être retenu dans un groupe. Tout le monde sait ce que c’est que d’avoir un père, d’avoir à dealer avec ce qu’on perçoit comme une incompréhension. Je pense que si Francis n’avait pas été parent, il n’aurait pas pensé faire ce film-là. »
Est-ce qu’il y a des scènes du livre ou du scénario que vous auriez aimé voir à l’écran? « Il y avait une scène que j’aimais assez, qui était dans le livre, et qui était un moment où, dans la salle de classe, les filles font une petite rébellion contre les gars qu’elles trouvent un peu bébés lala. Le prof, étant le progressiste qu’il est, laisse les gens s’exprimer. Les gars, dans leur protestation, ne faisaient que prouver ce que les filles disaient. Ça aurait pu être une scène très amusante. »
Est-ce que l’élagage n’est pas justement au centre de l’adaptation cinématographique? « Concentrer, exactement... Quand on a commencé à raconter des histoires par le cinéma, on s’est dit qu’on allait pouvoir s’éclater. On s’est rendu compte que l’éparpillement n’est jamais une bonne affaire. Le cinéma reste un art dramatique, un art qui raconte des histoires dans une continuité de temps. Ce que ça veut dire que plus on concentre sur moins de personnages, plus c’est fort, plus c’est marquant. »
Le risque c’est aussi de devenir plus réel que la réalité elle-même, parce que tout est condensé en un peu moins de deux heures. « Très souvent il faut mentir pour dire la vérité. On s’est demandé longtemps si on allait montrer les enfants comme ils étaient à l’époque ou comme ils sont aujourd’hui. Si on montre les enfants comme ils étaient à l’époque, on risque de leur faire perdre un petit peu de vigueur. À une certaine époque, arriver en salle de classe avec une gomme à mâcher, ça aurait pu être un grand traumatisme. Ce qui fait que parfois Martin répond à son père plus que je ne l’aurais fait avec mon propre père. Il fallait trouver l’équilibre. »
Faut-il alors s’en tenir à la vérité, à la réalité? « Nous, on est dans la fiction, évidemment. En toile de fond, il y a les Expos, ça, c’est indéniable, c’est là. Mais en avant-plan, on a la pleine licence de raconter ce qu’on veut. Je n’ai aucunement essayé de raconter mon enfance à moi. Il y a des bouts, qui sont des éléments déclencheurs, mais le reste j’ai pris le droit de raconter ce que je voulais raconter. »