Sébastien Rose présente son nouveau film, Le banquet, cette semaine dans les cinémas. Le film, qui se déroule dans une université québécoise au bord de la grève, met en vedette Alexis Martin et Benoît McGinnis dans deux rôles principaux très intenses. Un film qui pose beaucoup de questions sur le système d'éducation québécois, sur les élèves et les professeurs et sur ce qu'on peut ou doit transmettre.
Rencontre avec eux et avec le producteur Pierre Even.
Sébastien Rose
« L’éducation est en crise au Québec, c’est de ça que le film parle. » de dire d’entrée de jeu le réalisateur. Un film choral, avec plusieurs personnages, des extraits de films et un commentaire social sur l’éducation. « Le contexte d’une grève, ça me parlait. Très vite, ce qui s’est imposé, c’est de faire un film sur l’éducation. C’est ça le point de départ. »
« Dans les années 60, c’est le rapport Parent, qui se fixe comme objectif d’éduquer les Québécois. Ils rentrent en masse à l’université. Qu’est-ce que ça vaut un bacc aujourd’hui? Il y a vingt ans avoir un bacc c’était prestigieux, aujourd’hui tout le monde en a un. Il faut repenser notre système d’éducation. »
« Est-ce qu’on s’oriente vers un système à deux vitesses? Comme en santé ou comme France, c’est-à-dire avec une université publique pour le plus grand nombre et des universités privées pour ceux qui ont du fric? Chose certaine il faut réfléchir à ça. »
C’est un sujet sérieux qui demande un traitement sérieux. « Ce qui s’est imposé, c’est d’être le plus réaliste possible. Je voulais faire un film qui fasse réfléchir, qui pose des questions. C’était l’angle qui s’imposait, j’avais ce désir-là je le faire comme ça. C’est la tragédie qui s’est imposée. Je ne te dis pas que je ne ferai plus jamais de comédie, j’adore la comédie! »
À la fin de l’été comme ça, est-ce que les attentes ne sont pas plutôt dédiées au « divertissement »? « La notion de divertissement, c’est très personnel. Quand je vais au cinéma, je veux être ému, je veux être secoué. J’avais envie d’aller dans cette veine-là, le thème s’y prêtait très bien aussi. »
« Je propose mes questions aux spectateurs. Ça fait trois ans que je réfléchis à ce problème-là, c’est un dialogue avec le spectateur que j’offre. C’est un écran où les gens peuvent se projeter, où il y a de la place pour de la réflexion, où il n’y a pas une musique constante pour souligner comment tu dois te sentir à ce moment-là, au contraire. Moi j’aime ça comme ça. »
Le public va-t-il suivre? « Je pense que oui. D’ailleurs, on fait la tournée des Rendez-vous du cinéma québécois, et c’est génial ça. On va présenter le film dans les cégeps, les universités, il va y avoir un dialogue avec les gens. Je pense que les gens sont prêts. Le cinéma des années 60 au Québec, c’était, ça, le cinéma de Gilles Groulx, c’était ça, un cinéma politique. »
Justement, il y a plusieurs extraits de classiques du cinéma québécois dans le film. « C’était une façon de m’inscrire dans la tradition, de rendre hommage à mes prédécesseurs. En même temps c’est tellement lié au film, qui parle de transmission, de tradition, c’est le coeur du film. Il y a des gens qui sont coupés de la tradition. »
C’est justement le cas du personnage principal, Gilbert Dubois, un étudiant qui s’intègre mal. « Ça ne peut pas bien finir. Tu ne peux pas sortir de la salle en te disant que tout est bien qui finit bien, ‘sti c’est tragique, c’est certain que ça finit mal! »
Les gens éprouveront-ils quand même de la compassion pour lui? « Peut-être, c’est ça qui est épouvantable. Il est humain ce gars-là, on les aime les méchants. »
Alexis Martin
Dans Le banquet, Alexis Martin incarne le professeur de scénarisation Bertrand Girard. « J’ai beaucoup aimé le personnage parce que je l’ai trouvé plutôt antipathique en fait. Je me sentais à l’aise de rentrer dans ce personnage-là. »
« Ce que j’ai beaucoup apprécié du scénario, c’est le courage de poser des questions fondamentales. Pas tant sur l’université ou le cinéma que sur la société québécoise. Le système de l’éducation c’est souvent un des reflets les plus révélateurs d’une société. C’est là qu’on est supposé d’investir le meilleur de nous-même en fait. Il y a là un débat qui est bien soulevé par le film. »
On a l’impression que les questions qu’il pose ne s’adressent pas aux autres personnages dans le film, mais bien aux spectateurs dans la salle. « Les questions qu’il soulève s’adressent à un large forum. L’université et le film deviennent des grands porte-voix, on met des questions sur la table pour que tout le monde les entende. »
« Est-ce qu’on veut faire croire que tout le monde peut aller à l’université? Est-ce qu’on veut faire des vrais experts? Les étudiants ont 18 ou 19 ans et ils sont incapables d’écrire quatre phrases en français sans faire dix-huit fautes. Est-ce qu’on ne leur ment pas en leur disant que ce n’est pas grave? Toutes ces questions-là sont fondamentales. »
Le professeur en semble très affecté. « C’est déjà un gars un peu amer, on le sent triste. Son rêve de grande aventure intellectuelle, disons il y a quinze ou vingt ans quand ils ont fondé le département de cinéma, il se dit que les étudiants viennent poinçonner ici comme à l’usine. On le voit, il essaie de les taquiner, de susciter des réactions. »
Une réaction finale qui devient vite une tragédie. « La fin du film est très très dure, mais au vu et au su des événements récents, est-ce que le cinéaste n’essaie pas de dire qu’il y a quelque chose de plus que juste une série d’anecdotes? C’est une réaction, comme s’il y avait une impuissance à exprimer clairement des idées, à dialoguer avec quelqu’un. Il n’y a plus de répondant. »
« C’est un film à méditer. Je n’ai pas de réponse définitive, mais me semble il y a lui à faire des débats de société de fond là-dessus. Ce film-là a le mérite de poser des questions. »
Benoît McGinnis
Votre carrière se déroulait surtout au théâtre et à la télévision jusqu’à maintenant. Aviez-vous hâte de passer au cinéma? « C’est sûr que j’avais envie de jouer au cinéma un moment donné, mais quand j’ai reçu le texte pour l’audition je me suis dis que j’avais vraiment le goût de le faire. Il fallait que j’y aille. »
Pourquoi Sébastien Rose vous a-t-il choisi? « Je ne sais pas ce qu’ils cherchaient, je ne peux pas dire, mais moi je peux dire que ce que j’avais envie de donner, c’est l’intensité du personnage de Gilbert. Je la comprenais, j’avais envie de la jouer. »
Le texte est assez lourd, très interrogatif. Était-ce difficile de s’approprier les mots? « Le côté intellectuel se retrouve beaucoup dans le propos, dans la façon de tourner et dans l’univers du film. Dans ce qu’on reçoit du film, on sent bien le propos de Sébastien et de son père. Par rapport aux mots, j’ai trouvé ça très fluide et assez clair et assez le fun à jouer. Quand il avait des petites affaires, on pouvait les travailler ensemble parce qu’on était à l’aise. »
Est-ce que certaines journées de tournage étaient plus difficiles à aborder que d’autres? « Il y a eu des journées très très fortes où j’étais très concentré. Des grosses journées avec des grosses scènes. J’avais une concentration plus grande, j’essayais de ne pas trop sortir de mon affaire. Quand on va dîner, on va dîner pis c’est correct, mais entre les takes, je prenais le temps de m’asseoir et de penser à ce que je venais de faire et à ce que j’allais faire. Des fois c’est plus facile de revenir dedans quand tu ne décroches pas complètement. »
Pierre Even
Ma première question est très très simple : pourquoi? « Quand j’ai lu le scénario, j’ai ressenti un choc. Je ne m’attendais pas à ça, c’est tellement différent de ce que Sébastien a fait avant. On a beaucoup discuté. C’est un scénario qui m’a rentré dedans. »
« C’est un film qui pose des questions et qui n’apporte pas nécessairement de réponse. Je lui ai dit que j’étais prêt à le suivre là-dedans, prêt à le supporter pour le mettre à l’écran. Il y a peut-être des questions qu’on ne se pose pas assez. On n’ose pas toujours les mettre en scène. »
Une fois que le projet est enclenché, à quoi faut-il particulièrement faire attention? « Dans un film comme celui-là, il ne faut pas que ce soit trop théorique, il faut aussi que tu ressentes des émotions. Il faut embarquer au niveau dramatique. Le film, c’est un engrenage. »
« On a fait le visionnement d’équipe – en terme de « public conquis d’avance » tu ne peux pas vraiment faire mieux que ça – et quand la projection s’est terminée, même avec l’équipe, ça a pris un bout de temps avant que ça réagisse. »
« Je pense que les gens vont avoir vécu une expérience cinématographique et que le lendemain, le surlendemain et la semaine suivant ils vont encore en parler. Tu te retrouves au cœur d’un drame, qui est une tragédie, et tu n’as pas le choix de vivre avec les personnages qui sont là. On se fait conter une histoire. »
« Quand tu fais un film comme celui-là, il faut que tu l’endosses jusqu’à la fin. Les gens vont en parler, les gens vont poser des questions. Pourquoi mettre en scène quelque chose d’aussi terrible que ça? »
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