Dans le monde du doublage québécois, on essaie le plus souvent d’associer une seule voix à chaque acteur. Certains sont des secrets bien gardés, d’autres moins (qui aujourd’hui ne sait pas qu’Alain Zouvi fait Brad Pitt?). C’est aussi le cas pour Tristan Harvey, qui prête sa voix à Seth Rogen depuis ses débuts à l’écran, et cette fin de semaine dans Zack et Miri font un porno. « Seth Rogen je l’ai eu avec 40 ans et encore puceau. Marc Bacon, le directeur de plateau, m’a tout de suite entendu dans le rôle. D’ailleurs on me confie beaucoup de gros épais fumeux de pot... Mais je ne le prends pas personnel. »
« Ce gars-là, j’aime son humour, j’aime son côté décalé un peu, côté frondeur. J’ai suivi tranquillement sa carrière, et quand Grossesse surprise est arrivé et que j’ai fait la bande-annonce, j’ai vu qu’on était dans un autre univers. Des comédies basées sur des dialogues, mais des dialogues vrais. On a prouvé qu’on pouvait faire de l’humour avec de bons dialogues. On a tous été étonnés de la vérité des gars entre eux. »
« Ma blonde le déteste profondément ce gars-là, elle trouve ça décourageant, que ce n’est pas un modèle alors que moi je suis crampé, je trouve ça drôle d’autant plus parce qu’elle est scandalisée. Il dit des choses que les filles ne veulent pas entendre. »
On raconte qu’il est un improvisateur né et que plusieurs scènes sont tournées ainsi. « Tu sens vraiment que des scènes complètes ont été improvisées. Toute la gang est d’un naturel fou, ce qui est extrêmement difficile à aller chercher avec un script. Alors en doublage, la première mission qu’on s’est donnée c’est de jouer « naturel »; il fallait que le doublage aille chercher ce côté vrai. Il fallait se concentrer sur le jeu, relâcher un peu la diction et éviter les phrases toutes faites. Aller trouver le rythme de l’anglais, mais en français. »
Justement, il y a deux, peut-être trois « langues françaises » qui sont utilisées dans les doublages; la québécoise, la française et l’internationale. « Quand tu vas au cinéma tu fais un compromis, tu sais que l’acteur que tu vas voir ne parle pas français, donc à la limite la langue qu’on emprunte au doublage, le français international, tout le monde l’acceptent. Il faut trouver le juste milieu. »
Il y a Grossesse surprise et Superbad qui sont des cas un peu spéciaux. « Les deux films ont été un laboratoire. J’ai été le premier à défendre le fait qu’on devrait utiliser des « fuck » et des « shit », mais il y a un gros débat qui fait rage en ce moment sur le niveau de langue à adopter. Enlevons les « putain » et les « enfoiré » au profit de ce qu’on dit dans la rue. Mais il y a quand même une limite à tracer; je pense que personne ne veut entendre un acteur sacrer. »
« Dans le cas de Zack et Miri on nous a demandé même d’être un peu plus français. »
Rogen a aussi l’habitude de faire des films très verbeux, beaucoup plus que la moyenne, et on n’a pas plus de temps pour les doubler. « Habituellement, on travaille par segments, par boucles qui ont en moyenne, disons, cinq lignes par intervenant. Mais là, tu avais des segments de dix-huit lignes, et des douze lignes. »
Comment est-il à doubler? « Ce qui est difficile pour le jouer, c’est que quand il parle, il n’ouvre jamais la bouche. C’est hallucinant, on dirait un ventriloque. Au niveau technique, en doublage c’est extrêmement difficile. »
« On a une voix qui se ressemble beaucoup. J’alourdis ma voix un petit peu, avec son rire que je dois aller chercher. »
Les doubleurs, vous avez aussi l’habitude de travailler séparément. « Cette fois, il fallait faire les scènes ensemble. Il faut qu’au micro on sente la chimie, sinon le rythme en est affecté. Dans ces films-là, on se donne comme mission de mettre les deux acteurs au micro pour aller chercher cette complicité-là. » C'est Viviane Pacal qui prête sa voix à Elizabeth Banks dans le film.
« Il n’y a pas dix mille façons de le faire : je dois respecter la synchro et je dois respecter le jeu. Le défi avec ça, c’est de faire les deux. »