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Éternelle lutte des classes.
Près de quinze ans après son premier film, « Rien de personnel », qui traitait déjà du milieu des entreprises mais sous le versant des ressources humaines et des nouvelles méthodes de management, Mathias Gokalp revient donc de nouveau avec une œuvre sur le monde du travail. Mais cette fois, changement d’époque puisqu’on se retrouve à la fin des années 60 après les accords de Grenelle de mai 68 ainsi que de sujet puisqu’on assiste à une autopsie du quotidien des ouvriers dans une usine Citroën où le patronat règne en maître. « L’établi » est adapté de l’ouvrage autobiographique de Robert Linhart, bourgeois et militant d’extrême gauche, qui avait infiltré l’usine pour connaître les conditions de travail des employés et fomenter une révolte syndicale et ouvrière. On est donc en plein dans un récit aguerri et pertinent de lutte des classes qui plus est inspiré d’une histoire vraie. Un récit qui résonne encore pour beaucoup aujourd’hui et qui a sa version contemporaine, les cols blancs ayant remplacé les cols bleus et des œuvres comme la série « Severance » montrant bien que l’aliénation par le travail existe toujours même si elle a changé de visage. Tout comme le fait que les patrons exploitent toujours, de manière différente et plus sournoise, les classes moyennes et les pauvres. On est donc face à un long-métrage très engagé, à la fois fort et nécessaire, dont les velléités humanistes et sociales sont la première qualité et qui nous rappelle que le combat cher à Marx est loin d’être fini. On n’est pas loin du cinéma de Stéphane Brizé mais en mode plus passéiste et vieillot sans que cela soit un défaut. Dans les deux cas, c’est du cinéma qui interpelle et duquel serait fier un Ken Loach, lui qui s’est tant investi dans la cause par son cinéma durant des années de l’autre côté de la Manche.
Dès le départ on est en immersion totale dans ces usines de l’époque où il y avait encore très peu de droits pour les salariés. On pense parfois à « Germinal » et les mineurs dans la manière dont Gokalp, via le récit de Linhart, nous peint les conditions de travail dans l’usine. On n’est pas loin de la Bête métaphorique du roman de Zola quand on entend en voix off, une voix un tantinet trop solennelle et verbeuse par ailleurs, du personnage principal. Mais la folie de la répétition des tâches est bien là. Et « L’établi » nous la fait ressentir par toutes les pores. L’abêtissement du travail à la chaîne, le peu de répit, l’absence de droits, l’exploitation des ouvriers étrangers, les tâches plus répétitives les unes que les autres, le mépris des contremaîtres et surtout la cadence infernale imposée par le rythme de production. C’est édifiant et il est bon de rappeler que depuis les choses ont heureusement bien évolué. Gênant au début, puisqu’il est difficile de comprendre pourquoi un bourgeois qui a tout vient tenter de mener une rébellion chez le prolétariat, le film prend ensuite le temps par petites touches d’expliquer les motivations du personnage pour qu’on le comprenne (un peu) mieux. Dommage que le côté vie privée soit moins réussi et que le rôle de Mélanie Thierry soit trop peu développé. C’est donc une œuvre intense, dont certaines scènes sont déchirantes (celle où l’ouvrière parfaite qui a peur de perdre son emploi craque pendant la grève en est l’exemple le plus marquant) et qui nous percute l’esprit malgré son côté parfois austère qui pourra en rebuter certains.
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