Le nouveau long métrage de Micheline Lancôt, Suzie, prend l'affiche cette semaine à Montréal, Québec et Sherbrooke. La réalisatrice s'entoure de Pascale Bussière et de Normand Daneau pour ce long métrage qui raconte la nuit mouventée d'une chauffeuse de taxi montréalaise alors qu'un enfant est abandonné dans son taxi et que ni son père, ni sa mère n'en veulent.
Rencontre avec la réalisatrice.
Micheline Lancôt
« C’est le personnage qui est venu en premier. C’était une femme insomniaque, qui avait gagné la moitié d’un permis de taxi au poker, et l’intrigue a suivi de ce qu’elle était, de ce qu’elle faisait. L’idée que quelqu’un abandonne un enfant dans son taxi, tout ça s’est enchaîné logiquement. »
Parce que des femmes chauffeuses de taxi, c’est comme des réalisatrices, il n’y en a pas beaucoup! « Non il y en n’a pas beaucoup... Il y en a beaucoup, mais on les voit moins! »
Est-ce que la manière de faire des films a beaucoup changé depuis 20 ans? « La manière qu’on fait des films ça ne change pas, c’est la manière qu’on les finance. Je suis passée au numérique, j’ai abandonné le film parce qu’avec les budgets dont je dispose je n’ai pas les moyens de tourner en 35mm. J’en suis très heureuse, je n’ai pas de nostalgie pour l’image film... Je préfère l’image film, si on me demande mon goût, mais pour toutes sortes de raisons je suis très heureuse d’être au numérique. »
Par exemple? « C’est une façon beaucoup plus rapide de tourner, c’est l’outil parfait pour moi. J’espère que je m’améliore de film en film, parce qu’à chaque fois je suis obligée de faire des petits miracles parce qu’on a tellement peu de temps et peu d’argent... »
Est-ce que les comédiens sont meilleurs à la première ou à la huitième prise? « Tout le monde était prévenu qu’on avait peu de temps, et en plus dans des scènes d’une intensité pareille ça ne sert à rien de faire huit prises, tu brûles les acteurs. On était pas mal sur la même fréquence, il fallait que ce soit bon assez rapidement, y compris la technique. »
Ce doit être un avantage d’être une réalisatrice qui est aussi comédienne. « Ça n’aide pas quand je joue avec eux-autres! Mais c’est sûr que quand je n’étais pas dans le plan... Pascale et Normand ont tous les deux réalisé aussi, les deux sont des acteurs très autonomes, c’est-à-dire qu’ils sont capables d’évaluer ce qu’ils font et de se corriger très rapidement sans regard extérieur. C’est sûr que le regard du metteur en scène est toujours à, c’est le garde-fou, c’est ce qui permet à l’acteur d’aller plus loin sans avoir l’air fou. »
Est-ce que vos comédiens ont une qualité commune? « Ils ont la qualité commune de fitter mari et femme. Je n’en ai pas trouvé beaucoup de maris pour Pascale. C’est très subjectif mais à moi ça m’apparaissait éminemment possible. »
Y a-t-il une scène du scénario qui n’est plus dans le film et qui vous manque particulièrement? « Oui, il y en a une, et c’est une erreur de mise en scène, et je m’en veux encore. J’avais un magnifique plan après que Suzie sorte du commissariat de police à la fin : elle était dans une ruelle, on s’était synchronisé avec un camion de vidanges – ça n’a l’air de rien mais il faut que le truck soit là – et le personnage s’en venait dans la ruelle avec le truck de vidages en arrière d’elle. L’accessoiriste m’avait demandé sur le tournage ce qu’on faisait avec la valise de l’enfant, et je lui avais dit : « on l’oublie », et là au montage je me suis dit : « hostie de marde, il fallait qu’elle ait la valise, et il fallait qu’elle la jette dans la poubelle. » Le plan, c’était ça. Mais ce n’est pas ça que j’ai tourné, et il a fallu l’enlever. »
« Le montage c’est une troisième écriture, alors il ne faut absolument pas être complaisant. Il faut enlever tout ce qui ne marche pas, tout ce qui n’est pas absolument inscrit dans la trajectoire du film. »
« Micheline et moi on a tourné ensemble dans Belle baie pour Radio-Canada, elle jouait ma mère là-dedans, et je pense qu’elle a flashé là. On a fait Sonatine il y a 27 ans, et on a fait 10 ans plus tard Deux actrices. »
Est-ce qu’elle a beaucoup changé? « Non. Je dirais que ce sont les mêmes conditions de travail, ça ça n’a pas changé, toujours la guérilla! On tire le diable par la queue, mais c’est comme ça! C’est du cinéma indépendant, du cinéma d’auteur. Micheline, je suis convaincue qu’elle aimerait des conditions différentes, mais ça lui fait bien le cinéma guérilla. »
« J’aime cette façon de faire, il y a quelque chose d’impératif là-dedans, ça se fait dans l’urgence, dans l’instinct. »
Le fait qu’elle soit aussi comédienne doit apporter un regard différent... « Oui, mais là elle joue dans le film, ça fait beaucoup de chapeaux. Je la trouve très bonne d’arriver à faire ça, de monter ses projets, de boucler ses budgets... Ça prend de l’énergie, c’est admirable. Je la trouve extrêmement courageuse. »