Chaque année, chaque saison, il y a un acteur qui est surutilisé au grand écran. Un acteur ou une actrice dont on connaît les talents, qui nous a peut-être émus dans un rôle marquant, et qui devient presque le porte-parole du cinéma québécois pendant un moment. En 2013, ce fut l'année Sophie Desmarais, cette actrice qu'on a vue d'abord dans Le grand départ de Claude Meunier puis dans Les grandes chaleurs de Sophie Lorain pour ensuite devenir l'un des porte-étendards de notre cinématographie grâce à des rôles dans Curling, Décharge, puis cette année dans Chasse au Godard d'Abbittibbi, Sarah préfère la course, qui a été présenté à Cannes en mai dernier dans la section Un premier regard et dans Le démantèlement, qui prend l'affiche cette semaine. La comédienne n'a pas terminé son règne pour autant puisqu'elle sera également de la distribution de Qu'est-ce qu'on fait ici?, Le relampeur et Un parallèle plus tard en 2014.
Évidemment, on ne peut pas en vouloir à un acteur de prospérer. Le cinéma québécois est une petite industrie et pour réussir, il faut une volonté de fer et des nerfs d'acier. Donc, quand on se retrouve au sommet, on en profite puisqu'on sait que le téléphone ne sonnera pas tout le temps ainsi et que la gloire est une chose fragile. Bien entendu, ce n'est pas une question de talent, ce sont régulièrement des artistes brillants qui se retrouvent au sommet, mais le risque d'une surexposition comme vit Sophie Desmarais en ce moment est que le public se fatigue de la voir partout.
C'est un peu ce qui est arrivé à Claude Legault en 2009-2010. Legault est apparu dans huit productions d'envergure ces deux années-là, dont Les doigts croches, Les sept jours du Talion, La cité, Pour toujours les Canadiens, 10 1/2 et French Kiss, sorti en mars de l'année suivante. Le comédien se faisait continuellement répéter qu'il était omniprésent au grand écran et il a fini par être lui-même lassé par son « ubiquité ». Il y a aussi une question de hasards qui entre en ligne de compte. Legault n'a pas tourné tous ces films en même temps. Il y a avait même des années entre les différents plateaux, mais les circonstances ont fait qu'ils ont tous pris l'affiche pratiquement au même moment.
Il y a aussi la possibilité qu'un acteur interprète deux personnages mémorables la même année ou qu'il apparaisse dans deux films qui connaissent un succès substantiel au box-office. Dans les deux cas, les cinéphiles auront l'impression que le comédien est omniprésent parce qu'ils l'ont vu à deux ou trois reprises dans des situations marquantes en un court laps de temps. Guillaume Lemay-Thivierge est apparu en 2007 dans Nitro ainsi que dans Les 3 p'tits cochons; deux productions qui ont connu un succès notable dans les salles québécoises. Patrick Huard avec ses apparitions dans Filière 13, Funkytown, Starbuck et Omertà peut aussi être considéré comme un acteur exposé, tout comme Karine Vanasse avec ses Polytechnique, Angle mort et French Immersion.
Des acteurs comme Marc-André Grondin sont aussi omniprésents parce qu'ils voyagent beaucoup et partagent leur visibilité entre la France et le Québec, le Canada anglais et les États-Unis. Récemment, on a pu voir Grondin dans Bus Palladium (France), Le bonheur des autres (Québec), Goon (Canada), L'affaire Dumont (Québec), L'homme qui rit (France), Vic + Flo ont vu un ours (Québec).
Ce ne sont pas que les acteurs de premier plan qui sont utilisés dans plusieurs productions au cours d'une même période; les acteurs secondaires sont aussi beaucoup repris pour des rôles similaires. Mais, comme ils sont en second plan, leur omniprésence nous dérange moins. Paul Doucet a joué dans plus de dix films québécois depuis son apparition marquée dans Les 3 p'tits cochons alors que Gilles Renaud a pu être vu dans sept productions d'envergure québécoises depuis Cadavres en 2009. De plus, Renaud a joué dans trois séries télévisées (Prozac, La Maladie Du Bonheur, Mirador, Mémoires vives) pendant cette période ce qui, évidemment, augmente l'impression de surexposition.
Il n'y a qu'une toute petite partie du bottin de l'Union des artistes qui gagne sa vie de son art. Ce sont les mêmes que l'on réengage film après film parce qu'ils sont arrivés à prouver leur valeur et à développer un sentiment d'appartenance avec le public québécois. Mais le risque est là; on peut rapidement ennuyer les cinéphiles en leur bombardant continuellement les mêmes images. Une bonne option est peut-être celle de Michel Côté, qui a choisi d'apparaître dans un film par année - Ma fille, mon ange (2007), Cruising Bar 2 (2008), De père en flic (2009), Piché : Entre ciel et terre (2010), Le sens de l'humour (2011), Omertà (2012), pour limiter les dégâts. Mais, évidemment, ce ne sont pas tous les acteurs qui ont la chance de choisir leurs contrats et de gérer leur carrière en fonction d'une exposition calculée. Les autres profitent de leur vague de popularité en souhaitant qu'elle soit la plus longue possible parce qu'ils savent très bien qu'une surexposition est toujours mieux qu'une sous-exposition.