La sortie ce vendredi d'Il était une fois les Boys, un prequel à la franchise établie par Louis Saïa en 1997, relancera peut-être le débat sur la commercialisation des films d'ici. En effet, si le film remporte un grand succès, comme ce fut le cas pour les quatre prédécesseurs de la franchise, il sera peut-être pertinent de questionner les raisons pour lesquelles le cinéma commercial québécois, en difficultés depuis quelques années au niveau de ses parts de marché, ne tente pas de s'aventurer davantage vers des films pouvant devenir des franchises. Après tout, le positionnement stratégique des films d'ici est crucial et ces derniers sont financés avec l'argent d'un public qui semble aujourd'hui s'en être grandement désintéressé. Inversement, si ce nouveau chapitre des Boys n'obtient pas le succès qu'on lui souhaite, il faudra peut-être plutôt se demander à quel point le cinéma d'ici se porte mal, si même une franchise aussi lucrative et bien connue ne réussit pas du tout à percer le marché. Le cas des Boys, en cette fin d'année, sera sans aucun doute scruté à la loupe, par les médias, mais aussi par le public.
Chose certaine, bien qu'elle représente l'un des plus grands succès populaires du cinéma québécois, la franchise des Boys n'est pas, à proprement parler, une exception. D'autres franchises ont vu le jour au Québec avant, et d'autres depuis. Les Américains ont depuis longtemps démontré l'importance d'établir une image de marque forte pour leurs films. Une fois cette image connue, ne reste plus qu'à offrir au public ce qu'il réclame : plusieurs histoires mettant en vedette les personnages qu'il apprécie. Le phénomène, non sans rappeler celui des séries télévisées, doit offrir une plus-value commerciale non seulement au public qui, séduit par le premier film, en redemande, mais également à la compagnie qui retire les bénéfices de son investissement initial et « presse le citron » autant qu'elle le peut. Cependant, ce genre de méthode peut avoir des effets pervers si la recette n'est pas bien appliquée : une seule erreur, une baisse dans la qualité et cela peut être fatal à la compagnie qui produit. Si le public se désintéresse du produit, point de salut. Bryan Singer s'en est bien aperçu lorsqu'il a tenté de ranimer Superman (Superman Returns).
Au Québec, la durée requise pour financer un film est tellement longue que le système décourage presque toute aventure de ce type avant même que l'idée ne germe dans la tête d'un créateur. Ici, c'est traditionnellement par les téléromans et les séries télévisées que ce genre d'aspiration trouve une vitrine. En raison de leur notoriété au petit écran, nous avons vu très souvent au cours des dernières années certaines franchises prendre l'affiche en salles (Dans une galaxie près de chez vous 1 et 2, Grande Ourse - La clé des possibles, Lance et compte, Omertà...). À ce compte, il ne serait pas surprenant que des films basés sur Fortier ou Les Filles de Caleb finissent par voir le jour...
Néanmoins, on compte historiquement plusieurs franchises de films originales au Québec. Si trois ans séparent Les Plouffe de Gilles Carle de sa suite, Le crime d'Ovide Plouffe, c'est presque vingt ans qui ont séparé les deux Cruising Bar. Dans certains cas, l'écart peut se justifier dramatiquement. On n'a qu'à penser aux dix-sept années qu'il aura fallu pour voir le second chapitre du diptyque de Denys Arcand (Le déclin de l'empire américain, Les invasions barbares) et dont la diégèse nécessitait implicitement le passage du temps. Même chose pour 1987, la suite de 1981, que l'on pourra voir sur nos écrans l'an prochain et qui, contrairement à ce que leurs titres indiquent, n'aura pris que cinq ans à voir le jour. Par contre, il est bien possible que des suites annoncées n'arrivent jamais jusqu'à nos écrans. On n'a qu'à penser à la suite de Nitro ou à celle de Les 3 p'tits cochons.
D'ailleurs, l'un des problèmes avec le fait d'avoir autant de temps entre la sortie de l'histoire originelle et de sa suite est celui d'avoir potentiellement perdu contact avec les réalités de son public. C'est pourquoi, sauf en de rares occasions - pour des séries cultes comme Star Wars qui drainent un public en constant renouvellement - les studios mettent immédiatement en chantier les suites de films qui réussissent au box-office ce qui leur permet de maintenir l'intérêt pour leurs produits. Et si le second film est un échec, le système hollywoodien a assez de ressources pour redémarrer les franchises. Ici, c'est plus difficile, les ressources étant limitées. C'est d'autant plus difficile que la perte de vitesse du cinéma québécois, auprès d'un public jeune et éclaté, entraîne également une dilution des repères culturels propres à leur génération. Et ça n'aide pas quand le premier film d'une supposée trilogie s'écrase au box-office... vous en parlerez aux créateurs du film Le poil de la bête...
Ma génération avait les Passe-partout, puis les Contes pour tous, ensuite Musique Plus et finalement, les Lance et compte. Aujourd'hui, la jeunesse puise ses inspirations et s'identifie au cinéma ainsi qu'à la télévision américains, et consomme des produits culturels divers, glanés sur internet. L'homogénéité n'est plus au rendez-vous et, en fait, le marginal est devenu la nouvelle norme. Pas surprenant dans ce contexte de surexposition audiovisuelle que le cinéma québécois ait peine à s'adapter... Il y a bien eu les deux À vos marques... party! qui ont visé un public adolescent, avec un certain succès d'ailleurs, mais ce genre de tentatives s'avère rare en raison de la petitesse de notre marché. D'autant plus que notre cinéma grand public a, depuis quelques temps, très mauvaise presse. C'est peut-être l'un des moments les plus critiques qu'ait vécu notre jeune cinématographie : car si les films destinés à un auditoire large sont de qualité inégale, il serait carrément fatal culturellement de cesser d'en produire.
Espérons donc pour la franchise qu'Il était une fois les Boys trouvera son public. Espérons également que les institutions commenceront à regarder qui pourrait prendre la relève du cinéma commercial. Car pour s'adresser à des jeunes, il n'y a, en bout de ligne, rien de mieux que d'autres jeunes...