Il n'y a rien de plus noble qu'un cinéaste qui est investi par une cause. Les frères Dardenne, Mike Leigh, Ken Loach, Tony Gatlif, Robert Guédiguian: ils sont nombreux à porter en eux des sujets sociaux importants. Le réel talent du cinéaste est d'être capable d'en créer un film et de ne pas demeurer au simple niveau de la thèse.
Au Québec, le jeune réalisateur Jimmy Larouche fait son possible pour y parvenir. Dans son premier et inégal film La cicatrice, il traitait de thèmes trop souvent tenus dans l'ombre tels l'intimidation, la peur et le rejet. Il récidive avec Antoine et Marie où il est question de la drogue du viol, de la brutalité faite aux femmes, du désarroi des hommes, de l'hypersexualisation des adolescentes, etc. Tout cela en faisant croiser le destin d'un être (Sébastien Ricard) rongé par ses démons et d'une de ses connaissances (Martine Francke) qui aimerait bien se rappeler ce qui s'est passé lors de ce 5 à 7 bien arrosé...
Une intrigante matière première, nécessaire et incendiaire, dont le traitement est ampoulé de gaucheries et des maladresses du débutant. Dans une société où les femmes sont fortes, est-ce que tous les hommes pensent seulement et uniquement au sexe et à la violence? Il semble que oui avec cet Antoine décrit comme une bête sauvage meurtrie, un prédateur castré par son amoureuse qui passe son temps sur des sites pornographiques et qui pourrait bien - à grand coup de suspense mal placé - abuser de sa propre fille. Il y a le conjoint (Guy Jodoin) de Marie qui prend au lieu de demander dans la chambre à coucher et qui sait se fâcher, ainsi que ce collègue de travail jaloux et possessif (Pierre-Luc Brillant) qui agit seulement en fonction de ce qui se trouve en bas de sa ceinture. Pour la subtilité du regard, il faudra repasser.
De tels stéréotypes n'aident en rien les personnages. Comme dans La cicatrice, la plus grande force de Larouche est sa direction de comédiens et il soutire le maximum de Martine Francke qui aura rarement paru aussi juste. S'il y a une seule raison de s'attarder à ce long métrage, c'est pour son jeu criant de vérité. À ses côtés, Sébastien Ricard a déjà été plus allumé (Chorus, Une jeune fille), mais son manque de nuance ne nuit pas trop à l'ensemble. Ni le côté monolithique de Guy Jodoin, qui était pourtant éblouissant dans Contre toute espérance. Le reste de la distribution est composée d'acteurs réputés (Isabelle Blais, Dino Tavarone, Alexandre Goyette) qui ont très peu de matière à défendre.
Le réalisateur a pris du gallon depuis la dernière fois et il offre une mise en scène beaucoup plus satisfaisante, ponctuée d'ellipses, de plans séquences et d'un jeu sonore qui fait pression sur les individus. Sa grisaille permanente finit toutefois par assommer, rappelant celle d'un François Delisle en moins maîtrisée. Sa façon de filmer les nuques devient également un peu téléguidée, à l'instar de cette obsession de montrer un homme ou une femme pensif et grave, les yeux dans le vide. Ce n'est pas en laissant la caméra tourner plus longtemps qu'on capte nécessairement son âme, sa profondeur intrinsèque ou son désarroi intime.
Cette propension à abuser des symboles ne sera également pas pour tous les appétits. Entre l'euthanasie du chien (sans son meilleur ami, l'homme devient cinglé et méchant), cette femme qui se purifie grâce à l'eau et à la nature et l'héroïne violée qui détruit ce poisson au format phallique, il y a peu de place à l'imagination. Le tout étant complété par une lecture du Petit Chaperon rouge, métaphore par excellence du récit.
Mettons cela sur le dos de la jeunesse et de l'inexpérience. À force de vouloir traiter de sujets importants, le cinéaste s'éparpille et il ne convainc qu'à moitié avec ces deux histoires d'intérêt variable où il est également question d'une grève en sourdine. En s'ancrant dans le réel, il n'évite pas les dialogues les plus éculés qui soient - ce fameux "passe-moi le sel". Antoine et Marie a beau être imparfait et moralisateur à ses heures, il est transcendé par des bonnes intentions. Qui sont accompagnées par une performance éclatante de Martine Francke et une finale qui donne froid dans le dos, parce que trop véridique et injuste. Cette fois, le machisme a sa raison d'être.