Cela fait déjà plusieurs années qu'on parle du remake anglais de La grande séduction, l'un des plus grands succès du cinéma québécois de tous les temps avec des recettes totales de 8 423 092 $. En 2011, on annonçait en grande pompe le retour de Ken Scott à la barre du nouveau film, revu pour un public anglophone. Des dates de tournage, un lieu et un budget avaient même été divulgués. Pourtant, après que les Américains aient offert à Scott de réaliser la version américaine de Starbuck (Delivery Man avec Vince Vaughn, qui a finalement vu le jour l'automne dernier), le cinéaste a choisi les États-Unis.
En tant que spectateur, en tant que cinéphile, on peut comprendre la décision de Scott d'avoir voulu tenter sa chance chez nos voisins américains, surtout avec un projet qu'il connaissait si bien, mais pour Roger Frappier, producteur de La grande séduction et de son pendant anglais The Grand Seduction, cette décision inopinée a été un cauchemar. « Quand un réalisateur quitte son projet, son scénario, ça envoie un signal qu'il y a un problème avec la production, alors qu'ici, il n'y en avait pas. Ken a tout simplement quitté pour aller faire un autre film, qui était plus important pour lui. Mais moi je devais rassurer les agents des acteurs qui s'inquiétaient du bon déroulement du projet », explique M. Frappier lors d'une entrevue en septembre dernier au Festival international de Toronto, là où le film a été présenté pour la première fois au public.
Cette semaine, Hollywood a été confronté à un problème semblable. Edgar Wright, qui travaillait sur sa version d'Ant-Man depuis plus d'une décennie, a abandonné le projet. La raison officielle évoquée est celle de « visions créatives différentes » entre Marvel et Wright. La nouvelle a créé un tollé puisque, comme Frappier le dit si bien, un réalisateur qui quitte SON film, un projet qu'il chérit et peaufine depuis des années, ça ne donne pas une bonne image de l'ensemble de la production. Dans le cas de Wright, qui n'a pas quitté pour un projet plus attirant comme l'a fait Scott, on peut imaginer que les exigences de Marvel étaient immenses pour que le cinéaste se désiste ainsi à peine quelques semaines avant le début du tournage.
Ces « différends créatifs » sont souvent à l'origine de l'abandon d'un film par son réalisateur. Patty Jenkins a quitté la production de Thor: The Dark World quelque temps avant le début du tournage. Marvel s'est rapidement repris, par contre, engageant Alan Taylor deux semaines après la démission de Jenkins. Fox a dû aussi user d'imagination quand Darren Aronofsky a abandonné la suite de X-Men Origins: Wolverine, à laquelle il était attaché depuis un bon moment. Pour Aronofsky, c'est apparemment la distance, la séparation d'avec sa famille pour une longue période, qui l'a forcé à se retirer du projet. The Wolverine a finalement été réalisé par James Mangold.
Récemment aussi, on a été témoin d'une autre abdication d'un cinéaste alors que la réalisatrice Lynne Ramsay ne s'est pas présentée à sa première journée de tournage pour son film Jane Got a Gun. Ramsay a emporté cette fois dans son sillon Jude Law, Michael Fassbender et Bradley Cooper, qui devaient initialement faire partie de la distribution. Quand un réalisateur quitte un projet si abruptement, l'horaire de tournage change et les acteurs - surtout des acteurs en demande comme ceux-ci - sont obligés d'abandonner le projet pour respecter leurs autres engagements. Seuls Natalie Portman et Joel Edgerton ont survécu au départ de Ramsay. Ewan McGregor a, plus tard, rejoint l'équipe.
Un autre exemple de désistement problématique est celui de Guillermo del Toro à The Hobbit en 2010. Comme la production du film n'avançait pas aussi rondement que le réalisateur l'aurait souhaité (il faut considérer la faillite de MGM, qui n'a pas aidé le projet), Del Toro a annoncé son retrait en tant que réalisateur. Dans ce cas-ci, les choses se sont arrangées pour le mieux puisque Peter Jackson, réalisateur de la franchise Lord of the Rings, s'est emparé des rênes de la série et en a fait le succès planétaire que l'on connaît aujourd'hui.
Pour d'autres raisons - mais le résultat est le même -, Quentin Tarantino a aussi abandonné la production d'un de ses films récemment après que le scénario de The Hateful Eight ait circulé entre les mains de nombreuses personnes du milieu sans son autorisation. Comme Tarantino écrit, réalise et produit généralement ses films, cette maladresse des agences hollywoodiennes, qui ont permis à des acteurs de lire le scénario, a mené à l'annulation provisoire du projet. Le temps semble avoir calmé la rage du réalisateur puisqu'il a annoncé cette semaine qu'il remettait le film sur les rails, malgré sa rancune et, comme il le dit si bien : « le couteau dans le dos » qu'on lui a sauvagement planté. Bruce Dern, Samuel L. Jackson, Michael Madsen, Kurt Russell, James Remar, Amber Tamblyn, Walton Goggins, Tim Roth et Zoe Bell feront partie de la distribution du long métrage, et le tournage dverait débuter en novembre prochain.
Comme le précise Roger Frappier : « Il faut être créatif quand une telle chose survient. Il faut que le nouveau film que nous allons faire soit meilleur que celui que nous aurions fait, et tirer profit de cet abandon ». MGM a certainement prouvé qu'il n'avait pas besoin de Del Toro pour faire de The Hobbit un succès incommensurable (le premier film a fait plus d'un milliard $ de recettes et le second, 953 millions $), et même si on aurait aimé voir ce qu'Aronofsky aurait fait avec Wolverine, Fox n'en est pas ressorti perdant avec des gains de 414 millions $ dans le monde pour un budget de 120 millions $. Comme quoi, il n'arrive rien pour rien... même au cinéma.