On connaît peu les implications de la distribution des films étrangers au Québec. Elle est d'ailleurs très erratique et difficile à anticiper. Dans certains cas, les longs métrages prennent l'affiche quelques semaines seulement après la sortie en France, alors que dans d'autres cas, comme ceux du Ruban blanc et de Amour, le distributeur québécois doit attendre l'aval du distributeur américain, ce qui peut signifier près d'un an d'attente. Dans d'autres cas, de plus petites sorties doivent attendre une salle disponible pour être projetées dans un cinéma de la province. C'est ce qui se produit cette semaine pour le long métrage de La fée, un film de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy sorti le 14 septembre 2011 en France et présenté depuis hier au Cinéma Beaubien, à Montréal.
Armand Lafond, le Président d'Axia Films, qui distribue le long métrage au Québec, a vu La fée y a un an et demi, lors du Festival de Cannes. Il a tout de suite démontré de l'intérêt pour le film. « Quand il y a des projections majeures dans les festivals, à Cannes par exemple, les producteurs et les distributeurs confient le mandat à un vendeur. Lui, se promène de festival en festival pour vendre le film aux marchés internationaux. » Dans le cas de La fée, c'est MK2. « On a négocié des ententes, et on a acheté le film pour notre territoire, le Canada. »
Or, le film a été présenté six mois plus tard à Cinémania, en novembre 2011, et il ne prend finalement l'affiche qu'après une autre année, cette fin de semaine. « Normalement, le film aurait dû prendre l'affiche à l'automne, après Cinémania. Mais parfois, ce n'est pas toujours évident d'avoir des salles, et je savais que le Festival Juste pour Rire l'avait demandé en début d'année [où il a d'ailleurs été présenté en août 2012], donc j'ai décidé d'attendre un peu. J'ai voulu le sortir en octobre mais il y avait pas mal de films, et il y a tellement peu de salles pour jouer le film, finalement, Mario, le propriétaire du Cinéma Beaubien, m'a offert une date et je l'ai acceptée. » Cette date, c'est le 7 décembre 2012, un an et trois mois après la sortie française, et un an et demi après la projection du film à la Quinzaine des réalisateurs.
Comment expliquer ce décalage? « Tout ça est relié au marché. Pour les films très populaires qui ont du succès à Paris, ils sortent beaucoup plus vite parce que les exploitants au Québec désirent profiter de l'engouement étranger pour remplir les salles ici. Il y a des films qui sont plus difficiles. On peut dire que La fée est un cas où c'est plus difficile. C'est évident que personne ne m'a appelé pour me dire : « Armand, je veux présenter La fée absolument, vite, vite, vite il faut trouver une sortie », c'est évident que c'est plus compliqué. On sait très bien que les entrées ne seront pas des entrées majeures. Parfois on se trompe, parfois on a de bonnes surprises, mais on permet aux gens qui désirent voir La fée à Montréal de le voir. »
Après sa première fenêtre de diffusion, le film sera présenté à travers le circuit de salles Réseau Plus, aux quatre coins de la province, avant sa sortie en DVD. Pour un titre comme celui-ci, cela permet de rendre le long métrage accessible aux spectateurs en région qui souhaitent voir un tel film, ce qui ne serait pas viable s'il était exploité commercialement au travers de l'offre habituelle, dont les blockbusters américains.
Il faut aussi envisager le coût d'une licence de distribution pour le Canada. Selon Armand Lafond, la fourchette de prix est entre 10 000 $ et 150 000$ pour les films européens. La popularité du film dans son pays d'origine, le genre et le potentiel commercial, les acteurs-vedettes, des ententes préétablies avec d'autres distributeurs internationaux ou même des relations d'amitié sont des facteurs à considérer pour tous les films. Citons en exemple le cas d'Emmanuel Mouret, dont tous les films ont été distribués par K-Films Amérique.
Il y a même parfois une surenchère entre les distributeurs québécois pour acquérir les droits d'un film. Dans le cas de La fée, qui a amassé 88 915 entrées en France, ça n'a pas été le cas. « Il n'y a pas eu de surenchère, car c'est un cas assez spécial. C'est un film assez pointu, c'est un film où c'est le visuel qui parle, un peu le même genre d'humour que les films de Jacques Tati. C'est un film à exploiter dans un créneau bien précis, il y a eu un bon bouche-à-oreille à Cinémania et des bons échos pendant le Festival Juste pour Rire. », suggère Armand Lafond.
Êtes-vous toujours en contact avec le distributeur français? « On a toujours des suivis à faire. On est lié avec le distributeur français pour entre 7 et 25 ans. On exploite le film au cinéma, après ça en vidéo, après sur vidéo sur demande et à la télévision payante, ensuite à la télévision conventionnelle. » Utilisez-vous son matériel promotionnel, par exemple? « Normalement, on est assez libre. Pour les films français le visuel est souvent respecté. Dans le cas de La fée, le visuel est très beau, très proche, très international. C'est un film assez particulier, mais l'affiche était très belle, donc on n'a touché à rien. »
Il n'échappera à personne que les marchés français et québécois, malgré leurs similarités, sont composés de spectateurs aux habitudes très différentes. On le constate d'ailleurs quand un film québécois prend l'affiche en France. Il faut bien sûr en tenir compte lorsqu'on prévoit sortir un film français ici; certaines grandes vedettes françaises sont inconnues chez nous, certains sujets n'ont pas de référent dans la société québécoise (encore une fois, l'inverse est aussi vrai) et ne sauraient trouver leur public. Quoi qu'il en soit, bien peu de films français parviennent encore à se démarquer. Néanmoins, 2012 aura été une bonne année: environ 76 films français ont pris l'affiche chez nous jusqu'à maintenant, dont les quatre plus populaires sont Intouchables, Taken 2, Sur la piste du Marsupilami et La fille du puisatier. Ces films ont en commun qu'ils ont tous connu un certain succès populaire dans l'Hexagone. Et cela n'est sans doute pas une coïncidence.