Cela fait plus de 25 ans que Martin Scorsese cherche à adapter le roman Silence de Shusaku Endo, déjà porté à l'écran avec succès en 1971 par Masahiro Shinoda (Double Suicide). L'attente en valait largement la peine.
Se déroulant au Japon au 17e siècle, ce dernier tome de sa trilogie non officielle sur la spiritualité - après les très solides The Last Temptation of Christ et Kundun - met la foi de deux missionnaires jésuites (Andrew Garfield et Adam Driver) à l'épreuve alors qu'ils se font persécuter par les autorités. Emprisonnés, martyrisés, ils doivent tout renier pour sauver leur vie et celles d'autres Chrétiens.
Désirant s'inscrire dans la lignée des grandes fresques religieuses de Carl Theodor Dreyer et d'Ingmar Bergman sans nécessairement être touché par la même grâce, Silence ne manque pas d'ambition. Scorsese aura rarement offert un long métrage aussi fluide et organique, soignant à l'extrême son montage, ses images et sa densité sonore. Aucun détail n'a été laissé au hasard et sa dernière création en impose visuellement.
Le créateur de Taxi Driver et de Raging Bull - deux autres histoires d'hommes qui combattent l'adversité - a choisi d'imiter Robert Bresson en fignolant un récit extrêmement simple pour mieux décrire les rouages complexes de l'âme humaine. Devant l'épuisement, la souffrance et la trahison, il est facile d'abdiquer. Et si le plus grand acte de foi était celui de l'amour? C'est à ce choix évident quoique universel (de Kieslowski à Bernard Émond, tout est là) que souscrit cette proposition qui élève constamment par sa rigueur.
Pour mieux y adhérer, il faut toutefois être prévenu. L'ensemble prend le pari de la lenteur et de la contemplation, avec ces 160 minutes qui finissent par agir sur les spectateurs. Sans être aussi austère que ses modèles mentionnés précédemment, on ne se trouve pas ici devant un simple divertissement comme l'était The Wolf of Wall Street.
Il faut multiplier les efforts pour être récompensé et prendre soin de ne pas se laisser aveugler par ses quelques faux pas. Sans doute que la narration empruntée au cinéma de Terrence Malick est trop abondante, qu'il y a des temps morts, quelques scènes surlignées, des échanges manichéens, un discours final un peu simpliste et une démonstration qui tend vers le maniérisme. C'est pourtant passer à côté de l'essentiel : le cri du coeur d'un réalisateur émérite qui cherche encore à se dépasser en tâtant l'insondable et qui n'hésite pas à prendre des risques en payant des hommages à quelques maîtres nippons que sont Mizoguchi, Kobayashi et Oshima.
Que l'on adhère ou pas à sa dévotion, impossible de ne pas être ébranlé par la performance gigantesque d'Andrew Garfield. Pas surprenant que Mel Gibson ait vu quelque chose d'unique en lui sur son pompeux Hacksaw Ridge. L'ancien interprète de Spider-Man campe une impressionnante figure christique et il est constamment alimenté par ses camarades de jeu, Adam Driver et Liam Neeson en tête, mais également l'unique Tadanobu Asano, le trop rare Issey Ogata et le metteur en scène culte Shinya Tsukamoto qui se trouve cette fois devant la caméra.
Silence ne fera pas l'unanimité. Prétentieux à ses heures, il s'agit d'un objet d'une rare beauté qui tente de ramener le spirituel et le philosophique au centre des préoccupations cinématographiques. Cela n'en fait pas un chef-d'oeuvre pour autant, mais il est de moins en moins fréquent à notre époque qu'une superproduction soit mise au service de l'art avec un grand A.