À une autre époque, Warren Beatty possédait un as chanceux, à la fois comme acteur (Bonnie and Clyde, McCabe & Mrs. Miller) et cinéaste (Reds représente son plus haut fait d'arme). Cela fait toutefois 15 ans qu'on ne l'a pas vu à l'écran (depuis le pitoyable Town & Country) et 18 derrière la caméra (pour la satisfaisante satire politique Bulworth). Son retour terriblement attendu relève de l'euphémisme.
Au sein de sa cinquième réalisation, il devient le légendaire Howard Hughes, le célèbre magnat millionnaire, excentrique et paranoïaque qui n'a peut-être pas toute sa tête. La première fois qu'on le « voit » à l'écran, il est derrière un rideau et tout le monde se plaint de ne jamais pouvoir le rencontrer face à face. Un véritable Magicien d'Oz qui pimentera l'existence de nombreuses personnes, dont un de ses chauffeurs (Alden Ehrenreich, le prochain Han Solo) et une jeune femme (Lily Collins, qui cherche encore LE rôle au cinéma) qui rêve de percer à Hollywood. Une histoire fictive pour quelqu'un qui l'est presque autant.
Ce personnage flamboyant a déjà été incarné brillamment par Leonardo DiCaprio dans The Aviator de Martin Scorsese. Rules Don't Apply n'a pas la prétention de rivaliser avec cet excellent long métrage, évitant les pièges du biopic traditionnel. C'est d'ailleurs sa plus grande force et sa principale faiblesse. Le film, qui ne comporte aucune attache, respecte son propre titre et va dans toutes les directions. Il n'hésite pas à suivre trois destins disparates en se perdant en route, retournant continuellement sur lui-même, allongeant des scènes en y allant de diverses transgressions. Un électron libre qui a ses limites et qui finit par jouer avec la patience du spectateur. Déjà que le rythme n'est pas toujours alerte, ce chaos généralisé s'étend sur plus de deux heures et il ennuie autant qu'il tonifie.
Très ludique, l'effort fait beaucoup rire lorsqu'il vise l'absurdité la plus totale. La progression qui ressemble parfois au Café Society de Woody Allen est peuplée de dialogues et de situations complètement cinglés. Il y a surtout ces personnages terriblement vides, mais si attachants, qui semblent provenir de l'univers des frères Coen (Hail, Caesar! en tête) et où l'on retrouve Matthew Broderick, Annette Bening, Alec Baldwin, Steve Coogan, Ed Harris, Oliver Platt et Martin Sheen. Une vacuité rafraîchissante qui peut s'apparenter au sympathique Me and Orson Welles de Richard Linklater.
Insatisfait d'être nostalgique et divertissant, le script de Beatty vise une profondeur qu'il ne possède pas, une épaisseur qui s'avère très peu crédible. Il abuse des clichés dans sa façon d'explorer le contexte puritain de l'époque (la fin des années 50) et son regard sur l'hypocrite machine hollywoodienne qui trucide des carrières est loin d'être neuf. Ses deux jeunes protagonistes sont agréables à regarder sauf qu'ils ne dégagent absolument rien. Et même si Hughes est un véritable numéro ambulant et que son interprète s'amuse comme un fou (on dirait parfois un croisement entre le héros de Citizen Kane et Donald Trump), le personnage demeure bidimensionnel. Du coup, l'émotion de la fin ne passe pas et ce désir de mélancolie qui est accentué par l'omniprésence d'une pièce musicale de Mahler sent le préfabriqué à plein nez. Ce n'est pas en invoquant la décadence propre à Luchino Visconti et à son chef-d'oeuvre Mort à Venise qu'on arrive à faire réapparaître le passé.
Alors qu'on attendait Rules Don't Apply pour la course aux Oscars, Warren Beatty surprend en empruntant un chemin extrêmement léger et non orthodoxe, aussi cocasse qu'oubliable. S'il n'y a rien à redire sur le plan technique (son soin apporté à la recréation et aux images semble parfois surréel, presque autant que sur son Dick Tracy), c'est toujours ce satané scénario inégal et beaucoup trop gentil qui fait défaut en voulant ratisser trop large. De quoi rire un bon coup malgré une sensation que l'ensemble est inachevé.