Le monde nous appartient est un film belge. Au Québec, on voit peu de films belges, mais lorsqu'ils se rendent jusqu'à nous, ô miracle, ce sont souvent des événements uniques; on garde un souvenir cher du sublime Les géants et on est à ce jour encore soufflé par Au nom du fils (et, tandis que le FFM approche, quelqu'un se souvient-il de Ben X? Moment marquant là aussi). Sans être aussi unique que ces trois-là, Le monde nous appartient reste un fort moment de cinéma, qui a souvent des allures de premier film quoi qu'il n'en soit pas un, et qui a un souffle bien à lui (ceci expliquant peut-être cela).
Le réalisateur Stephan Streker démontre à de nombreuses reprises une maîtrise de la caméra qui détonne, désarçonne et subjugue, forçant ainsi l'admiration. Dommage, le récit n'est pas à la hauteur. Conséquence : même à seulement 87 minutes, le long métrage est parfois long, lent, comme flottant. Entre le réalisme exacerbé et l'onirisme d'une direction photo forte et affirmée et des décors exceptionnels, un inconfort qui fait vibrer le film s'installe, le réalisateur étant toutefois assez habile pour rythmer son récit d'un montage inventif.
Des scènes magnifiques parsèment le récit : une scène musicale, une déclaration d'amour, une poursuite à pied avec un chien, un animal sauvage dans les rues de Bruxelles. Le temps comme suspendu.
Sauf que, on l'a dit, Streker raconte assez difficilement son histoire, lui qui crée de nombreuses fausses pistes dont l'impact dramatique est au final assez mineur, le long métrage prenant parfois des allures de film choral, parfois non, parce qu'il abandonne des personnages en cours de route. Des personnages qu'on croyait centraux sont pratiquement relégués à la figuration lorsque le réalisateur se concentre finalement sur les deux héros, comprenant bien que le filon est là. Des intrigues abandonnées, des fausses pistes qui s'avèrent signficativement moins fortes que la trame principale.
De nombreuses qualités aussi dans le jeu des deux jeunes acteurs qui les incarnent, surtout Vincent Rottiers, vu dans un tout autre registre il n'y a pas si longtemps dans Renoir. Transformation étonnante pour le jeune homme, qui s'avère très convaincant dans le rôle d'un criminel repenti tiraillé entre le désir de changer de vie et la facilité de l'illicite. C'est son jeu et la subtilité du portrait qui permettent à la finale d'être aussi forte, malgré une emphase émotive parfois simpliste. Ymanol Perset est efficace lui aussi, quoique moins désarçonnant. Le trio d'acteurs secondaires expérimentés (Gourmet, Kateb, Droukarova) est solide.
Au final, Le monde nous appartient est une proposition de cinéma valable qui pique la curiosité grâce à une caméra puissante et un montage souvent audacieux. Tout ne fonctionne pas parfaitement, et pourtant, on y voit des qualités et une poésie. On ne peut cependant se défaire de l'impression que son auteur a un bien plus grand film à faire.