Exercice délicat que celui d'adapter au cinéma une pièce de théâtre (d'autant que dans le cas qui nous intéresse, celle-ci aborde le processus de création, et ce à partir d'une oeuvre littéraire) car il y a entre les deux médiums des liens évidents de consanguinité en plus de très profondes différences. Les liens les plus flagrants sont bien évidemment ceux du jeu et des dialogues, mais ils existent aussi au niveau du découpage, du rapport sémantique avec le public ainsi que dans son implication dans la résolution de l'intrigue. La vénus à la fourrure, de Roman Polanski d'après une pièce de David Ives, propose une exploration de ces liens, mais ne tire pas véritablement profit du changement de médium.
Résultat? Les qualités du film sont celles qu'on pourrait aussi donner à une pièce sur le même sujet : des acteurs en très grande forme, des dialogues souvent savoureux et truculents, des thèmes philosophiques et sociaux matures et complexes. Ces qualités, elles sont là, c'est indéniable, mais elles y seraient aussi sur scène. Qu'ajoute le cinéma dans ce contexte? Adapter, c'est trahir, ne l'oublions pas.
Oui, les acteurs - Mathieu Amalric et Emmanuelle Seigner - offrent tous les deux une performance transcendante et maîtrisée, et c'est dans leur jeu que se trouve l'intérêt du film. La rencontre pas si anodine que ça entre un metteur en scène désabusé et une actrice vulgaire mais mystérieuse recèle beaucoup de surprises qui se dévoilent petit à petit; assez stimulant malgré l'aspect figé du dispositif (un huis clos théâtral). Le récit aussi a bien sûr des surprises et des revirements, mais ils tiennent plutôt des rapports de force. Contexte idéal pour que Polanski exploite ses thèmes fétiches de claustrophobie, de tension érotique et d'humour tordu. Ce qui n'empêche toutefois pas quelques longueurs et redites.
Le plaisir intellectuel qu'on retire de la joute verbale que se font ce metteur en scène et cette actrice évoque le plaisir du langage, de la culture et de la philosophie. On n'y associe pourtant jamais un plaisir physique et incontrôlable, celui du cinéma, celui de l'association d'idées et d'effets formés par ce qui fait spécifiquement le cinéma. On ne peut renier ce premier plaisir, mais on ne va pas non plus inventer ce deuxième, qui n'y est tout simplement pas.
Ce n'est pas fatal, car il y a beaucoup à admirer tout de même dans La vénus à la fourrure. Mais en fin de compte, après le convaincant mais convenu Carnage, qui vivait le même phénomène, Polanski déçoit, en transposant à nouveau assez simplement le théâtre au cinéma. Cela mène bien évidemment à plusieurs questionnements. À commencer par : pourquoi? Pourquoi adapter, dans le sens de « à quoi bon? ». Un hommage aux acteurs? C'est un peu court.