À la sortie de Maman est chez le coiffeur, en 2008, j'écrivais : « Aucune émotion n'est forcée ou obligatoire, dans le cinéma de Léa Pool, et plusieurs sont à peine suggérées, mais cela ne les rend pas moins fortes. On regarde cette famille évoluer, à travers des indices et des non-dits, et les enfants grandir dans le plus grand respect de l'intelligence du spectateur. » Cela s'appliquait particulièrement bien à l'ambiance spécifique de ce film, fort réussi, qui mélangeait habilement l'humour et l'émotion, le rire et les larmes. Exactement le contraire de La dernière fugue, finalement.
Les quatre enfants Lévesque sont réunis autour de la table familiale pour le souper de Noël. Ils n'ont d'autre choix que de constater les dégâts qu'a causé la maladie sur leur père, devenu un véritable fardeau. S'ils ne s'entendent pas sur les gestes à poser, le fils aîné, André, et le petit-fils le plus mature, Sam, croient que le temps est venu de le laisser goûter une dernière fois aux plaisirs de la vie et de l'aider à mourir. La mère, qui n'avait jamais envisagé d'être séparée de son mari, commence à en être convaincue elle aussi.
Adapté d'un roman de Gil Courtemanche (un deuxième, après Un dimanche à Kigali), La dernière fugue aborde un sujet qui est particulièrement d'actualité, celui du suicide assisté. Médium oblige, on passe par l'induction (le spécifique pour parler de l'universel) pour commenter ce sujet de société destiné à faire la une des journaux prochainement dans un important débat. Niveau complétude, rien à redire : on respecte l'éducation catholique des grands-parents, et on refuse les simplicités. Disons simplement qu'on ne coupe pas court au questionnement moral, voilà qui est important.
Certes, Andrée Lachapelle est délicieuse dans le rôle de la grand-mère. Lumineuse et émouvante, elle démontre que l'expérience est un atout précieux pour un comédien. Mais la plupart des acteurs, se croyant peut-être au théâtre, jouent avec beaucoup trop d'emphase des dialogues maniérés qui ne semblent jamais provenir d'un univers plausible. Les spécificités de la langue orale, minées certainement par le malaise des Québécois envers leur accent, sont difficiles à saisir et à maîtriser, et dans un contexte réaliste, au cinéma tout particulièrement, on s'entête à parler une langue que personne ne parle, surtout pas dans une famille de la classe moyenne de Montréal. D'autant que ces personnages fraternels, conçus pour former un tout, une sorte « d'enfant global », sont beaucoup trop « utilisés » pour être émouvants.
D'autant que l'anecdotique prend le pas sur l'universel lorsque le film s'empêtre dans une suite assez incongrue de souvenirs, de reconstitutions historiques et de films de familles; la mémoire n'est pas un thème central de La dernière fugue (du moins, il n'avait pas à l'être), alors on ne peut que survoler des thématiques fichtrement plus complexes qu'un simple souvenir perçu différemment selon celui qui s'en souvient. Un accident de pêche totalement incongru, qui vient briser la crédibilité qu'il restait au film, exaspère plus qu'il n'ajoute au débat. Citons également ce souper de Noël très verbeux, filmé à l'épaule pour le dynamiser, qui ne rend pas justice au talent de la réalisatrice pour laisser parler le cinéma.
La dernière fugue est un film audacieux dans son désir d'invoquer un sujet délicat, et lorsqu'il s'y concentre, on peut lui trouver bien des qualités. Lorsqu'il s'en égare, cependant, on n'a d'autre choix que de constater que ce qui devrait être touchant passe inaperçu derrière le manque de cohésion d'un parti pris réaliste. C'est-à-dire que l'illustration simpliste des prémisses de l'induction n'atteint ni l'émotivité requise, ni l'inspiration attendue de la part de Léa Pool.