Un film sur Jackie Kennedy relève de l'évidence. S'il y en a eu un excellent d'Olivier Stone sur son mari JFK et un autre beaucoup moins marquant d'Emilio Estevez sur son beau-frère Bobby, revenir sur le destin de cette femme d'exception qui fut l'épouse d'un des plus célèbres présidents des États-Unis devait arriver un jour ou l'autre au cinéma et pas seulement par la forme d'un banal téléfilm.
Sauf que Jackie n'est pas un biopic comme les autres. On ne retrace pas une existence entière en deux heures, mais seulement quelques éléments importants. À partir d'une conversation avec un journaliste où l'héroïne (interprétée par Natalie Portman) peut se permettre de contrôler et réinterpréter ses souvenirs (l'univers de la fiction - ce «je» personnel - est souvent plus riche que la réalité), on est catapulté à une visite télévisée à la Maison-Blanche, à l'assassinant de John F. Kennedy et aux jours suivants jusqu'à son enterrement. Les ellipses assaillent constamment la chronologie, le fil narratif se rompt et l'intérêt devient exponentiel. Un traitement courageux auquel il faut s'abandonner avant d'y adhérer complètement. Cela peut toutefois demander un certain moment d'adaptation.
Impossible de trouver un sujet plus américain que celui-ci. Il est ironiquement traité d'une façon anti-hollywoodienne, ce qui est d'autant plus surprenant et impressionnant. Darren Aronofsky devait le réaliser et ainsi renouer avec la vedette de son grandiose Black Swan. Il a eu la brillante idée d'être seulement le producteur et de confier les rênes du projet au Chilien Pablo Larrain. Voilà un cinéaste extrêmement talentueux (sa feuille de route sans tache comprend El Club, No et Tony Manero, alors que Neruda représente son pays à la prochaine cérémonie des Oscars) qui a enfin la chance de se faire valoir dans une autre langue. Il ne la rate pas.
Le long métrage débute par un hypnotique crescendo musical de Mica Levi qui reviendra régulièrement hanter le spectateur. Comme la trame sonore qu'elle a concoctée sur l'inoubliable Under the Skin, sa musique d'une richesse inouïe s'infiltre sous la peau pour ne plus jamais en ressortir. Puis la caméra s'approche de Jackie, encore et encore. Le 16 mm permet d'entrer dans sa bulle et de se lover pendant 95 minutes au sein de son cocon. Le récit se fera en toute intimité, comme si on y était vraiment, et cet angoissant sentiment de claustrophobie doté d'une atmosphère presque horrifique est accentué par de longs plans nerveux en mouvements.
Le climat est évidemment sombre et déchirant. Le chagrin semble de tous les instants, débutant dans la froideur inaccessible pour bouleverser de plus en plus par la suite. Il contraste avec une reconstitution historique soignée et minimaliste, magnifiquement filmée par Stéphane Fontaine (déjà responsable des images de plusieurs fresques de Jacques Audiard). Sa façon de coller au corps d'une Jackie endeuillée et de la consoler par le fait même en devient presque réconfortante.
Tous ces éléments ne sont pourtant que des détails devant la prestation magnétique de Natalie Portman qui apparaît dans tous les plans. Elle est impériale en complexe icône détruite qui a mûri trop rapidement et qui demeure impossible à cerner. Son désarroi passe par un regard médusant et un jeu impeccable, tout en subtilité et en élégance, qui va plus loin que d'offrir les simples mimiques d'une démarche et d'un timbre de voix. Elle ne fait véritablement qu'un avec ce personnage plus grand que nature, laissant dans l'ombre le reste de la splendide distribution qui comprend Peter Sarsgaard, Billy Crudup, John Hurt, Greta Gerwig et Richard E. Grant.
On imagine déjà les amateurs de biopic classiques se ruer sur Jackie et en ressortir décontenancés. Au lieu d'un traitement formaté, il s'agit indéniablement d'un film d'auteur impressionniste, nuancé et parfois exigeant, qui prend de véritables risques, autant formellement que dans sa façon de raconter une histoire connue de tous et toutes. Peu importe que l'on soit plus de type La vie en rose que I'm Not There, la présence incandescente de Natalie Portman fera l'unanimité et ce rôle risque de la propulser au sommet des prochaines cérémonie de prix. Ce sera amplement mérité.