En 2011, lors de la sortie au Québec de Belle épine, le film précédent (son premier) de Rebecca Zlotowski, on avait dit ceci : « il s'agit d'un premier film prometteur, qui laisse supposer que si on ajoutait une histoire mieux construite à cette manière brute de filmer, avec une cruauté presque intrinsèque, on pourrait faire naître des émotions fortes et bouleversantes. » Et bien... vous pardonnerez ce court moment d'autocongratulation, mais le message a clairement été entendu.
La jeune réalisatrice française propose donc avec Grand Central un long métrage qui possède à nouveau la force brute de sa caméra (esthétiquement plus propre, cependant), mais aussi une meilleure empathie envers les personnages et une histoire inédite et particulièrement bien construite. Beaucoup de personnages secondaires, d'individualités qui forment un tout, un portrait, peut-être engagé, en tout cas social, et heureusement pas bêtement dénonciateur ou pamphlétaire.
Grand Central tire pleinement profit de son contexte inédit, celui des zones sécurisées des centrales nucléaires, des contrôles de sécurité et du danger latent, invisible, inodore, incolore, mais mortel lié aux radiations. Grandes et petites morts sans distinction; condamnations, cancers, infertilité. Ce danger se transforme en tension permanente, et en un étrange sentiment d'incongruité alors que ces personnages/ouvriers essaient simplement de continuer à vivre et à s'amuser une fois leur quart de travail terminé. Ils tombent aussi amoureux (évidemment).
La grande qualité du scénario du film est d'utiliser ces éléments - l'histoire d'amour, le danger lié aux radiations nucléaires, le risque d'accident - pour créer des scènes d'une grande intensité (elles sont d'ailleurs pratiquement toutes muettes) où, par exemple, le cocu est sauvé par l'amant. L'intensité est alors à son comble, et on constate l'efficacité de la mise en scène de Zlotowski, qui parvient même à faire oublier les quelques clichés liés à cette histoire d'amour qui n'est certes pas la plus originale...
Zlotowski mérite cependant des éloges pour son choix et sa direction de comédiens; Tahar Rahim, habitué à ce rôle de bellâtre prolixe, parvient tout de même à être émouvant et crédible, Léa Seydoux est une actrice de soutien idéale, Olivier Gourmet est naturel et assuré, et personne n'incarne mieux force et vulnérabilité à la fois que Denis Ménochet. Tous jouent avec subtilité des personnages qui nous paraissent réalistes.
Deux ou trois scènes paraissent un peu forcées, particulièrement dans la résolution qui mise sur plusieurs coïncidences, mais jamais aux dépends de la cohérence globale du long métrage. Grand Central est donc le film qui confirme le talent de Rebecca Zlotowski. Déjà hâte de voir le prochain.