Il est extrêmement aisé de placer les acteurs dans des catégories, de leur donner une spécialité, un « genre » auquel ils devront se consacrer pendant toute leur carrière. On tombe souvent sans le vouloir dans cette facilité. Comme dans le cas de Jonah Hill qui, après avoir joué dans Superbad, Funny People et récemment Get Him to the Greek, semblait destiné à ce type de comédie « bromantico-vulgaires » ou à des rôles mineurs. Il y était efficace, mais que pouvait-on espérer de plus de sa part? Sa performance dans Cyrus prouve hors de tout doute raisonnable qu'il est un acteur talentueux capable de jouer la carte de l'émotion autant que celle de la comédie. Entouré de John C. Reilly et Marisa Tomei, il prouve même qu'on peut jouer les deux à la fois sans que l'une ou l'autre ne s'en ressente.
John est divorcé depuis sept ans, et revoit son ex-femme avec beaucoup d'amertume. Lorsque cette dernière lui apprend qu'elle va se remarier, il réagit mal. Mais c'est sous ses encouragements qu'il se rend dans une petite fête, où il fait la rencontre de Molly, une femme magnifique qui semble bien l'aimer. Leur relation s'amorce rapidement, mais Molly lui avait caché son fils de 21 ans, Cyrus, qui habite encore avec elle. Ce dernier ne voit pas de bon oeil cette nouvelle relation amoureuse, et préférerait garder sa mère pour lui tout seul. S'amorce alors une lutte pour l'affection de Molly.
Cyrus est un film modeste qui mise tout sur la performance de ses comédiens. Pas d'artifices, assez peu de revirements dramatiques importants, une caméra près des acteurs et un univers misant sur la vraisemblance. Peu de gags très « punchés ». Un humour de situation, entre malaise et gêne, couplé d'une sensibilité intellectualisée qui évite les larmes. L'humour y est toujours de bon niveau, misant avec justesse sur le malaise prévisible qu'éprouve un fils lorsqu'il rencontre l'homme qui baise sa mère (pour le dire clairement). L'humour n'est pas physique, pas vulgaire, pas rien, il est vrai. Il donne en tout cas toute l'impression du vrai (ce qui est suffisant).
Mais il y a plus : la lutte de manipulation qu'amorcent les protagonistes est crédible et plausible, ce qui était essentiel à une telle réussite. On n'aurait jamais autant ri si on n'avait pas cru aux personnages. Coup de chapeau aux comédiens, bien sûr, mais aussi aux réalisateurs Jay et Mark Duplass, qui leur font poser sur eux-mêmes des diagnostics pleins d'humanité. Tous les personnages sont de bonne foi (c'est-à-dire qu'ils sont cohérents avec leur(s) objectif(s), qu'ils prennent les moyens pour parvenir à leur but); ils sont humains, crédibles, et magnifiquement défendus par des acteurs qui démontrent l'étendue de leur talent à chaque scène.
Cyrus est un film charmant, c'est tout. Et quel plaisir de voir des personnages intelligents se disputer l'objet de leur affection avec cohérence. On regrette que la finale se sente obligée de revenir vers les bons sentiments; cela détonne et cela gâche un peu du plaisir qu'on avait pris, en toute simplicité, avec ces personnages complexes et vrais, qui se disputent l'amour d'une mère, qui est aussi une femme, mais qui est surtout mère.