Dès les premières secondes, on sait qu'Anna Karenina ne sera pas un film comme les autres. De toute manière, Joe Wright n'est pas reconnu comme étant le plus traditionnel des cinéastes. En choisissant Tolstoï comme assise, il se doit par contre d'être à la hauteur des écrits du romancier russe et d'éblouir le spectateur qui ne s'attend à rien de moins qu'à être épaté par du Tolstoï adapté par le réalisateur d'Atonement et d'Hanna. Wright réussit-il à émerveiller comme ses images semblent vouloir le faire? Pas tout à fait, mais il livre tout de même un produit unique et coloré qui se dégage suffisamment de la masse pour persister dans les mémoires cinéphiliques.
Wright marque d'emblée le film de son empreinte et donne ainsi le ton global de l'oeuvre. Le long métrage prend d'abord des allures de comédie musicale; les décors sont changés à même l'image par des figurants, la plupart des scènes se déroulent dans un théâtre (les coulisses peuvent représenter la rue et le grenier, la maison d'un frère) et on y appose une musicalité qui compense pour les chants, généralement partie intégrante de ce type de production. Même les mouvements des personnages sont calculés pour faire partie de cette musicalité.
L'imagination fertile du réalisateur permet également certaines transitions remarquables, comme un train électrique pour enfants qui mute vers une véritable locomotive ou des déchirures de papiers que l'on lance dans les airs et qui se transforment en neige. Des idées simples, mais si bien adaptées, qu'elles en deviennent magiques. Anna Karenina tend, en revanche, à s'étirer à certains endroits (notamment lorsqu'il est question de l'histoire de l'ami d'enfance du frère d'Anna) et freine le rythme de ce récit, si bien servi par la mise en scène.
La réalisation prend beaucoup de place dans Anna Karenina vu sa singularité et son audace, mais elle n'éclipse jamais (ou presque) le travail impeccable des comédiens, qui campent tous des êtres torturés et tortueux. Keira Knightley embrase l'écran de sa performance infaillible. Elle habite ce personnage de femme jugée sévèrement pour ses actes avec tellement de passion et de sensibilité qu'il est impossible de rester de glace face à tant d'étoffe. Jude Law, imperturbable et honnête, se distingue également par la profondeur de son jeu. Domhnall Gleeson - ancien acteur d'Harry Potter - et Alicia Vikander - deux amoureux improbables - tirent, eux aussi, bien leur épingle du jeu.
Bien que le film se penche sur certains débats humanistes, développe des questions de société - notamment sur l'adultère (qui semble être accepté pour l'homme mais complètement interdit à la femme) et l'amour (les différentes formes d'amour et les blessures que peuvent entraîner ces dernières), mais n'est jamais vraiment moralisateur. On laisse le spectateur réfléchir aux questions sans lui forcer une réponse ou même l'insister à en trouver une. Le sermon ne vient donc jamais outrepasser l'histoire et ses personnages, comme c'est trop souvent le cas dans les drames sur l'infidélité ou la trahison au sens large.
Joe Wright réussit encore une fois à charmer son public par une adaptation étonnante qui prouve, d'une certaine façon, la force du cinéma et ses immenses possibilités.