Depuis leur naissance au petit écran il y a 24 ans, les personnages de Lance et compte sont devenus des célébrités auprès des fervents (et nombreux) fidèles auditeurs de la série. Lorsqu'il a décidé de faire passer ses héros du petit au grand écran, Réjean Tremblay a dû trouver la bonne histoire à raconter.
« Ça fait longtemps que Caroline Héroux voulait avoir un long métrage. J'avais déjà commencé à écrire La Revanche, où Guy Lambert frappait un joueur du Canadien et où il y avait un procès, en long métrage, mais ça ne marchait pas, j'étais obligé de trop sacrifier de personnages de l'univers de Lance et compte. »
« Sur les entrefaites, il s'est organisé un match Canadien-Sabres, un match pré-saison, à Roberval. Je suis allé couvrir ça, et c'est Patrice Brisebois qui m'a expliqué qu'ils avaient atterri à Bagotville pour rouler jusqu'à Roberval, une affaire d'une heure et quart. Mais au Lac-Saint-Jean, ça roule en... eux autres ils appellent ça « chauffer en cowboy ». C'était ça l'histoire : le National vient jouer un match à Roberval, mais eux autres ils retournent à Québec donc ils prennent l'autobus. Dans le bout du Mont Apica, dans le Parc des Laurentides, il y a un accident. »
« Fallait une histoire qui plaise à ceux qui n'ont jamais vu la série, mais il fallait que les gens qui suivent les séries se retrouvent aussi. Fallait que ce soit le même univers. »
Il a aussi fallu faire des choix déchirants et tuer certains personnages, dont plusieurs étaient dans la série depuis ses débuts. « J'aurais pu tricher et mettre des figurants. En théorie, j'aurais eu le même impact : des joueurs absents, une équipe à reconstruire. Mais j'aurais eu le feeling de tricher le monde. Alors, j'ai choisi des personnages qui, sur le plan dramatique, avaient une incidence. »
Plusieurs accidents du même type ont déjà eu lieu dans les trente dernières années, un peu partout en Amérique du Nord. Vous vous inspirez souvent d'événements réels pour votre série. Souhaitez-vous être fidèle à la réalité et à la vérité? « Je pense que c'est Boileau qui a dit ça, dans L'art poétique : « Seul n'est beau que le vrai, et seul n'est vrai que le vraisemblable. » Pas besoin que ce soit vrai, si c'est vraisemblable. Par exemple : l'accident, il est vraisemblable; il y a un échange de joueurs un moment donné, c'est vraisemblable, parce qu'avec le Canadien on a vu ça, Steve Bégin a été échangé contre Glen Metropolit, de Boston, trois heures avant le match (ndlr : en réalité, Steve Bégin a été échangé aux Stars de Dallas en retour de Doug Janik, et Glen Metropolit a été réclamé au ballottage le lendemain à midi de Philadelphie, alors que le Canadien affrontait les Flyers en soirée). » C'est possible, avec toute la paperasse, que la Ligue accepte la transaction si rapidement? « Tout ce que ça prend c'est un fax. »
Mais vous entrez aussi dans les bureaux de direction. En général, les gens n'ont pas accès à ces discussions-là... « Elles sont très vraisemblables. Il y a des affaires de la réalité que je ne pourrais pas raconter, le monde ne le croirait pas. Parfois, la réalité est invraisemblable. »
Le réalisateur Frédérick D'Amours croit aussi que la tragédie qui frappe le National était l'histoire idéale pour ce passage au grand écran. « Il y a plein d'histoires à adapter au cinéma, mais il faut la bonne histoire. Dans le contexte de Lance et compte, c'est un événement majeur qui était plus propice à faire quelque chose de cinématographique. »
Pourtant, en faisant le film, il faut rester fidèle à la série, et se garder toutes les portes ouvertes pour la prochaine série. « Oui et non. Quand on m'a approché, il n'était pas question d'avoir une série après, c'était supposé finir avec le film. J'ai toujours approché le film comme une unité. »
L'écriture de Réjean Tremblay est-elle cinématographique? « Réjean a une écriture particulière. C'est plutôt un gars de télé qu'un gars de film. J'ai essayé d'apporter au scénario quelque chose de cinématographique. D'abord de tourner en 2:35, pour au moins avoir une différence avec la télé. La pire des choses ce serait de faire un téléfilm. J'ai aussi voulu avoir un petit moins de caméra portée, d'avoir du production value. Le film donne le luxe d'aller un petit peu plus loin, et d'être sur la glace un petit peu plus. »
« Mes influences portaient un peu sur Remember the Titans, qui est un film de sport, mais pas tant que ça, parce que c'est plutôt comment Denzel Washington va montrer à ses joueurs comment se comporter, et de l'autre côté c'est Any Given Sunday, pour le côté de ne pas être seulement spectateur. »
Qu'en est-il de la vraisemblance? « On ne fait pas un documentaire, c'est une fiction. Il ne faut pas extrapoler. Ici, c'est sûr qu'on joue avec le public, avec les émotions, c'est un divertissement dramatique. On se sert de certaines affaires pour monter une intrigue. »
Il y a l'histoire de ces femmes, sans emploi, qui essaient de sauver leur usine, qui s'ajoute à la tragédie du National. « Ce que je trouvais intéressant, c'est d'avoir un cheval de bataille pour Suzie. C'est des gens qui sont démunis; c'est beau les stars du National, c'est plate de perdre un match mais c'est encore plus plate de perdre sa job. Le National va s'inspirer d'eux autres pour arrêter de se morfondre. »
Comme nouveau venu, dans une équipe très soudée comme celle-ci, comment faut-il aborder les acteurs? « C'est une question de respect. Tu t'assois avec eux autres, tu parles avec eux autres, mais surtout tu les écoutes. Toutes l'équipe et tous les comédiens m'ont vraiment bien accueilli. Moi j'aime les acteurs, j'ai discuté avec les acteurs, j'aime parler avec eux, j'aime les écouter. »
« Lance et compte, ce n'est pas un film d'auteur, on le sait par définition. C'est un gros film, dérivé d'une grosse série. Arriver avec mes épaulettes et tout changer, c'est ridicule, il faut les approcher avec beaucoup de respect. »
Pour Jason Roy-Léveillé, qui incarne Guy Lambert, le film est différent des séries-télé. « La différence, au niveau du scénario, c'est que le film est concentré sur une histoire, et les personnages gravitent autour de l'histoire. Pour nous, c'était différent, c'était qu'on prenait un peu plus le temps de jouer les scènes, de jouer les silences. À la télé, il faut rentrer dans une heure, avec les pubs et tout, tandis qu'au cinéma, que le film dure 1h40 ou 2 heures, ce n'est pas si grave que ça. »
La vie personnelle de Guy Lambert est aussi chamboulée par les événements. « Quand il t'arrive un gros drame comme ça dans la vie, ça fait comme une brisure. Parfois tu te poses des questions sur ta vie : est-ce que c'est vraiment ce que je veux? est-ce vraiment ça que je veux être? Guy Lambert se sent prêt pour une femme, quelque chose de plus mature, avec toute la pression de reconstruire le National. » Il comprend aussi le sentiment de Frédérick D'Amours lorsqu'est venu le temps d'intégrer l'équipe. « C'est sûr qu'il devait avoir une certaine pression de reprendre le flambeau d'une série qui existe depuis 25 ans, mais il a été très bien accueilli, comme tous les nouveaux personnages qui arrivent, comme moi, quand je me suis joint à la série. »
Pour l'acteur, être la figure vedette du National n'est pas une pression supplémentaire. « J'essaie de ne pas me mettre de pression. Je sais que le film est attendu, ça c'est certain. Les fans qui suivent la série vont vouloir voir le film, et ils ont des attentes. Mais je pense que le défi est relevé parce qu'on monte d'un cran par rapport à la série. Mais de la pression, non? Mon métier, je le fais parce que j'aime ça, je m'amuse, et j'y vais au jour le jour. J'ai eu la chance de jouer avec Marc Messier, pour moi c'est un pas en avant. »
Ce dernier apprécie la longévité de la série, et la complicité développée avec son personnage de Marc Gagnon. « Tu as une espèce d'aisance avec le personnage, et la complicité qui est établie avec les autres personnages aussi, donc tu peux juste te concentrer à aller un peu plus loin. Surtout ce personnage-là, qui est très riche, ça me permet de m'éclater pas mal de jouer ça. J'aime beaucoup le hockey en plus. »
Il fallait un élément déclencheur fort pour le film, comme ce tragique accident. « Ça prenait quelque chose de fort, parce qu'au cinéma tu ne peux pas faire comme dans une télé-série et aller un peu dans la vie de chacun. Faut que tu te concentres sur une histoire. » En plus de l'histoire des ouvrières... « C'est cet élément-là qui leur rappelle que la vie continue, qu'il n'y a pas juste le hockey. »
Vous étonnez-vous encore des revirements que peut imaginer Réjean Tremblay? « C'est toujours un peu surprenant quand on arrive, je ne sais pas comment il fait. Je suis content jusqu'à date parce qu'il a toujours bien aimé le personnage, il l'a toujours pas mal inspiré. Avec Marina, on a une vraie complicité. Mon personnage, au départ, se définissait beaucoup par ses défauts, son arrogance, sa jalousie, etc. Maintenant, on peut le définir par ses côtés positifs : la loyauté, la générosité. C'est un passionné. Dans le domaine du sport professionnel, c'est que ça que tu rencontres, parce que c'est la victoire qui fait foi de tout. Si tu te mets à perdre, tu es congédié. »
Lance et compte prend l'affiche aujourd'hui dans plus de cent salles à travers le Québec.