Le réalisateur Rafaël Ouellet présente son plus récent métrage - son quatrième - intitulé Camion, ce vendredi dans les salles québécoises. Le film, qui met en vedette Julien Poulin, Patrice Dubois et Stéphane Breton, raconte l'histoire d'un camionneur et de ses deux fils qui se réunissent dans la maison familiale du Bas-St-Laurent après un accident mortel qui a coûté la vie à une automobiliste. On doit aussi à Ouellet les films Le cèdre penché, Derrière moi et New Denmark.
Camion a été présenté au Festival de Karlovy Vary plus tôt cette année, où il a remporté le prix de la meilleure réalisation et celui du jury oecuménique. K-Films Amérique en assure la distribution.
« Au départ, Camion c'était un documentaire/court métrage. Mon père, un jour, va fermer son moteur pour la dernière fois, je veux être là... après : est-ce que je le suis toute la journée, toute la semaine ou tout le mois? Est-ce que je l'interviewe? J'ai commencé à travailler là-dedans et à rajouter de la fiction : tiens, un accident, on va scrapper la fin de sa carrière avec un accident. Il vit ça tout seul, c'est plate, je vais rajouter un fils. Le fils ça serait l'fun qu'il puisse en parler à quelque d'autre, donc rajoute un autre fils. Finalement je me rends compte que je n'ai plus du tout un documentaire, j'ai un long métrage et un film de fiction. »
« Après, je trouve qu'il y a des traces un peu familiales plates, donc je les efface, par respect pour mon père, pour mon frère, pour moi. Pour en faire un film plus intéressant aussi. »
Quelles expériences sont tirées de tes films précédents? « Mes laboratoires, je suis capable de les faire avec 5000 $, avec 25 000 $ ou avec 400 000 $, comme Derrière moi. Là, je demande 1,4 million $, donc ça serait peut-être le fun de proposer quelque chose que le monde va aller voir, qu'il va avoir envie d'aller voir. Pas de se faire dire : « c'est dont bon mais... c'est pas pour tout le monde ». La plupart de mes films sont décrits comme ça dans les critiques. Là, j'ai envie que le monde y aille. Je n'ai pas le goût de faire des films « commerciaux », mais j'ai envie de faire des films rassembleurs. »
« Ça n'influence pas tant la mise en scène, pas tant le montage, ni le choix de la musique, je garde quand même mes petites touches un peu baveuses; il n'y a pas de musique qui accompagne l'émotion dans les scènes dialoguées, par exemple, la musique est toujours là en interlude, c'est un paquet de petites choses comme ça qui me restent de mes autres films. Des thèmes, des façon de positionner le Kodak, faire confiance à des plans-séquences, faire confiance à des silences, ce sont toutes des choses que j'ai testées dans mes films précédents. »
« Il y a une chose qui a été importante cette fois-ci, c'est de me confronter à de l'émotion. J'ai vraiment fait un step de plus, notamment la scène de chasse, avec des personnages qui pleurent, j'ai essayé d'aller un peu plus loin. C'est nouveau pour moi, comme cinéaste ce sont des choses qui me faisaient peur, peur de tomber dans le quétaine, dans le mélo. J'ai décidé d'y aller, de me faire confiance, je me suis permis d'aller un peu plus loin. Des fois je marche sur la ligne; la finale, on aurait pu tomber dans le quétaine. Sur papier elle était bien plus quétaine. »
Dans tes films précédents, une grande attention était portée aux dialogues et à leur véracité. C'était une grande qualité. Qu'en est-il cette fois-ci? « Juste au niveau de la voix... Julien fait beaucoup de télé, où il y a un rythme rapide, sans temps morts, où ce doit être clair et bien articulé. Patrice, encore plus, il fait du doublage de films, de la pub, ça affecte sa couleur et sa livraison. Stéphane fait beaucoup de théâtre d'été, alors... Ce sont des super bons acteurs, mais c'est d'aller enlever ces couleurs-là. On est arrivé à un langage qui, pour moi, sonne vrai. »
Fallait-il absolument que Julien Poulin rencontre ton père? « J'avais envie qu'il en rencontre un, un camionneur qui n'est pas sur le speed, qui ne mange pas des hamburgers qui dégoulinent comme dans les films américains. Grandir, quand ton père est camionneur... tout de suite on tombe dans le cliché. J'avais envie qu'il voit un camionneur pas cliché, qui soigne un peu son apparence, qui se lave le matin et le soir. »
On sent à l'image une capacité à intégrer les lieux, le décor, souvent subtilement. « Je viens de la télévision live, donc m'acclimater à ce qu'il y a là, sur les lieux, au lieu de me battre contre, de l'atteler à mon film, ça c'est une de mes forces. Par contre, quand j'ai écrit le film je savais pas mal où j'allais, je connaissais bien le coin. »
Sur les réseaux sociaux, tu commentes beaucoup la situation politique actuelle. Est-ce que les événements t'envouragent à faire un film politque? « J'ai envie d'en rentrer dans mes affaires, mais pas de faire un film politique. À quelques jours de soumettre Camion pour un dernier tour, Stephen Harper était élu majoritaire. Tout à coup, j'ai commencé mon film avec la plaque du Québec, tout à coup j'ai eu envie que ce film-là. De façon bien oblique, le film parle de politique. On peut-tu se mettre ensemble, sacrament, au lieu de se diviser, de se polariser? Le film parlait déjà de ça, mais c'est assez subtil, je ne veux pas le forcer dans la gorge de personne. Mais je me suis amusé à rajouter ça. »
« Assurément qu'il y a un super film à faire sur la crise sociale actuelle, mais... Je ne sais pas. Il me manque peut-être de la volonté, de la maturité. On va voir comment ça va finir, mais il y aurait Les ordres à faire. »