Portrait d'un acteur versatile qui porte bien son nom : Depardieu. Il semble omniprésent, voire omnipotent lorsqu'il est question de cinéma français. Connu partout dans la francophonie et même ailleurs, grâce à de nombreux rôles dans des productions américaines et des coproductions internationales, il est un monstre sacré. Bourreau de travail, Depardieu semble accepter tous les projets qui lui sont proposés, même les plus incongrus, mêmes les plus grotesques. À croire que la crainte de disparaître anime ce boulimique qui dévore la vie et tout ce qui s'y trouve. On le verra d'ailleurs à nouveau cette semaine dans Potiche, le plus récent film de François Ozon.
Le parcours de cet acteur éclectique n'a pas été jonché que de succès, et si Bertrand Blier lui a donné le rôle qui a véritablement démarré sa prolifique (c'est un euphémisme) carrière (Les valseuses, 1974), c'est la grande diversité de ses choix qui lui a permis de se hisser, et de se maintenir, au statut de vedette plus grande que nature. En quarante ans, Depardieu a cumulé plus de 170 génériques. Pour vous donner une idée, c'est plus que Pacino et De Niro réunis. Parmi cette multitude de titres, certains sont littéralement tombés dans l'oubli. Qui en effet se souvient de La machine (1994) ou mieux, de la reprise américaine My Father the Hero (1994) dans lequel Depardieu jouait le père d'une très jeune Katherine Heigl? Mais voilà, dans une telle filmographie, le volume parle souvent autant que les oeuvres qui y figurent.
Acteur de l'immodération, il ne fait rien à moitié et quand on lui dit de se prêter au jeu du ridicule, il n'y va pas de main morte. Bien que son rôle de Porthos dans The Man in the Iron Mask n'ait pas été son meilleur, au moins son personnage était-il le seul à ne pas se prendre au sérieux dans cette fresque pseudo-historique à l'eau de rose qui comptait autant de grands acteurs que de défauts (Jeremy Irons, Gabriel Byrne, John Malkovich, Leonardo DiCaprio). C'est là la force de Depardieu : après avoir joué l'acolyte mal coiffé de Glenn Close dans 102 Dalmatians, le Obélix sensible mais caricatural de la franchise des Astérix, le très improbable homophobe homosexuel dans Le placard, il revient toujours en force avec un rôle qui laisse tout le monde pantois... Mais il ne faut pas oublier que la loi des probabilités est de son côté et qu'à multiplier les projets comme Depardieu le fait depuis toujours, il aurait été surprenant qu'aucun ne fasse mouche!
Car s'il a joué dans plusieurs navets, il n'en demeure pas moins qu'il a également campé de très grands rôles et endosse régulièrement les costumes de personnages qui lui ressemblent, ne serait-ce que dans leur démesure. Depuis 1990, tous les rôles historiques auxquels le cinéma français (ou la télévision à grand déploiement) a pu penser, il les a incarnés. Qui d'autre que lui peut se vanter de compter dans sa filmographie des rôles tels que Danton, Auguste Rodin, Christophe Colomb, Honoré de Balzac, le Cardinal Mazarin et Alexandre Dumas? Bientôt, à cette mirobolante liste, Depardieu ajoutera Raspoutine et Claude Monet. Et tout ça, c'est sans compter les rôles dans les adaptations d'importants classiques de la littérature qu'on lui a offerts au cours de sa carrière : Le retour de Martin Guerre, Le tartuffe, Jean de Florette, Cyrano de Bergerac, Germinal, Le colonel Chabert, Hamlet, Le comte de Monte Cristo, Les misérables, Ruy Blas, Les rois maudits et bientôt Henri V. Le manque d'imagination des producteurs en devient presque risible : à croire que la France n'a produit qu'un seul acteur capable d'endosser l'Histoire!
En fait, on a vu si souvent Depardieu qu'il s'est lui-même créé une niche : celle de l'indispensable acteur à tout faire. Un producteur d'ici a une idée de coproduction avec la France? Qu'à cela ne tienne, allons chercher Depardieu, écrivons-lui un rôle (peu de chances qu'il refuse)! C'est ce qui s'est produit dans Nouvelle-France, et si le film n'a pas fonctionné, ce n'est pas la faute de Depardieu, car même après toutes ces années, il demeure l'un des visages français les plus appréciés du public québécois... et indiscutablement l'un des plus connus. Et si nul n'est prophète en son pays, Depardieu pourrait bien être l'exception. En effet, pour les films parus depuis 1993, il domine le classement du nombre d'entrées cumulées par un acteur français, très loin devant Christian Clavier et Jean Reno, respectivement en deuxième et troisième position*. C'est très probablement la raison pour laquelle, après tout ce temps, il est encore parmi les acteurs français les mieux payés.
Peut-on alors se demander pourquoi, avec les offres qui fusent encore de partout, Depardieu accepte-t-il tout ? Après cinq pontages cardiaques en 2000, on aurait pu croire que l'ubiquiste Depardieu ralentirait, mais bien au contraire. Il semble qu'il soit increvable. En 2010, il a joué dans sept titres, dont quatre ont paru sur nos écrans dans la dernière année : La tête en friche, Mammuth, L'autre Dumas, et depuis hier, Potiche aux côtés de Catherine Deneuve et Fabrice Luchini, deux autres acteurs incontournables. Avec presque autant de films à paraître d'ici un an, il est évident que l'acteur de 62 ans ne veut pas disparaître de sitôt. Même la mort prématurée de son fils Guillaume en 2008 semble lui avoir insufflé le désir d'augmenter la cadence au lieu de la ralentir, et si ses plus récents titres ont été décevants, la carrière prolixe de Depardieu nous laisse présager que le futur en recèlera sans doute de meilleurs... et des pires!
---
* Source CBO France.