La semaine dernière, Jack the Giant Slayer a pris l'affiche sur nos écrans. Avec son budget de 195 millions $ et sa sortie précédant la semaine de relâche scolaire, le film d'aventures fantastiques avait visiblement la volonté de rejoindre les familles. Hier, un compétiteur féroce a aussi pris d'assaut les cinémas; Oz: The Great and Powerful, un conte qui se veut un prologue au classique The Wizard of Oz de Victor Fleming. Les deux oeuvres cinématographiques s'adressent au même public et pourtant, elles n'utilisent pas exactement les mêmes techniques pour le séduire, ou, plutôt, n'exploitent pas ces méthodes de la même façon.
Bien que les deux films se déroulent dans un monde fantastique, imaginaire, l'un est davantage enclin à entretenir l'émerveillement que l'autre. Jack the Giant Slayer s'efforce de construire un univers lugubre, inquiétant, qui abrite des géants mangeurs d'hommes, alors que Oz: The Great and Powerful s'applique à créer un monde enchanté peuplé d'animaux parlants, de fées des rivières, de bonnes et de mauvaises sorcières. Cette distinction pourrait nous laisser croire que le premier sollicite davantage les jeunes garçons et que le second, plus badin, s'adresse principalement à un auditoire féminin. Mais il serait simpliste de placer les films dans ce genre de cellule stéréotypée puisque Jack, tout comme Oz, s'évertue à toucher le plus grand nombre. Jack the Giant Slayer introduit un personnage féminin fort, une princesse qui n'a pas peur de se salir (mais qui a des paillettes sur son armure; c'est encore nécessaire de le rappeler), alors que Oz: The Great and Powerful, même s'il met en scène des fées et des sorcières aux robes scintillantes, une cité d'émeraude, des bulles de savon et une poupée de porcelaine, est maintenu à bout de bras par un protagoniste masculin séducteur auquel les jeunes garçons peuvent s'identifier.
L'humour est présent dans les deux productions, quoique Oz en possède une bien meilleure maîtrise. Le film de Sam Raimi a misé sur l'évidence, sur le sarcasme, pour dérider son public, et le résultat est magistral. Un singe qui imite une vache pour distraire une sorcière dans un pays imaginaire, c'est drôle (entre autres parce que c'est absurde) peu importe l'âge que l'on a. Quand ce même primate se voit offusqué par ce qu'on lui impose un stéréotype; celui qu'un singe doit nécessairement aimer les bananes ou qu'il se lance dans un discours élogieux sur un magicien qu'il sait un imposteur en stipulant qu'il est intègre, honnête, irréprochable et une tonne d'autres qualificatifs en lien avec sa vertu, le public est gagné jusqu'à la fin. Dans Oz: The Great and Powerful, Finley (le singe) porte l'aspect humoristique sur ses épaules. Il n'y a que très peu de bonnes blagues qui ne sont pas engagées par lui ou qui ne l'impliquent pas d'une façon ou d'une autre. Dans Jack the Giant Slayer, ce genre de personnage n'existe pas, et tous revêtent, à un moment ou à un autre, le chapeau d'humoriste. C'est peut-être ce personnage secondaire dédramatiseur (on dit comic relief en anglais) qui manque à Jack.
La violence présente dans Jack the Giant Slayer n'est pas à négliger non plus. Évidemment, le réalisateur a pris bien soin qu'on ne voit pas les géants démembrer les humains ni les humains démembrer les humains, mais le concept - des géants qui descendent sur Terre pour manger les hommes - reste plutôt cauchemardesque, malgré les manoeuvres cinématographiques pour cacher la brutalité. Il faut tout de même préciser que Jack est classé « Général - Déconseillé aux jeunes enfants », une notice que Oz: The Great and Powerful ne possède pas. Ce dernier met bien en scène une sorcière verte hideuse aux intentions machiavéliques, mais elle n'est en rien comparable, en terme d'épouvante, à ces ogres et cyclopes que la Régie du Cinéma du Québec qualifie de « figures monstrueuses pouvant effrayer le jeune public ».
Les deux oeuvres ont aussi des thématiques bien différentes. Jack the Giant Slayer parle de courage, de témérité, d'amour, alors que Oz: The Great and Powerful s'attarde plutôt aux rêves, à l'illusion, à la solidarité et la bonté, qu'on annonce haut et fort comme la principale qualité d'un héros. À ce niveau, l'un ne se démarque pas davantage de l'autre; les valeurs c'est personnel, reste à savoir quelle est celle qui préoccupe ou intéresse le plus. Peut-être que les thèmes du deuxième sont plus « familiaux » - surtout qu'il est question d'une orpheline de porcelaine qui se forge une nouvelle famille avec ses nouveaux amis qu'elle croise sur le chemin de briques jaunes -, mais, le courage et le passage de l'enfance vers l'âge adulte (une avenue que prend Jack en escaladant la liane vers le monde des géants) sont aussi valables.
La magie intemporelle que renferme Oz: The Great and Powerful a la force nécessaire pour ébranler parents et enfants, chose qui s'étiole rapidement dans Jack the Giant Slayer au profit d'une animosité et d'une violence à peine dissimulées. Comme les plus jeunes risquent d'être davantage effrayés par les géants que par les sorcières, et comme Oz construit un univers plus cohérent et envoûtant que celui de Jack, le conte de Sam Raimi emporte la guerre du meilleur film familial (selon nos critères, il faut le préciser, partiellement subjectifs). Qui plus est, d'un point de vue purement rationnel et monétaire, Oz: The Great and Powerful risque fort de rencontrer un succès bien plus honorable que Jack qui a dû se contenter de 27 millions $ à sa première fin de semaine; un résultat, avouons-le, minable pour une oeuvre de cette envergure. Disney triomphe encore dans le domaine du film familial, comme il l'a toujours fait (John Carter qui?).