Le grand éventail d'illustrations d'hommes politiques qu'Hollywood nous offre vient de gagner un ajout considérable cette semaine. Qui d'autre que Clint Eastwood pour oser s'attaquer à l'insaisissable J. Edgar Hoover? Cet homme, que tous ont craint pendant sa carrière, étalée sur un demi-siècle, est également l'un des personnages les plus obscurs et les plus mystérieux de l'histoire américaine. À la tête du FBI, Hoover a tenu serrés les cordeaux du pouvoir, faisant et défaisant les hommes d'État qui ne se pliaient pas à sa volonté, faisant chanter certaines célébrités, développant des liens d'amitié avec des criminels notoires et du coup, étendant son influence sur les Américains en contribuant, entre autres, au vent de panique anticommuniste dans les années 50. Sa vie, son oeuvre, sont en elles-mêmes tellement plus grandes que nature, qu'un film sur le sujet ne pouvait qu'être intéressant. Mais en fin de compte, qui est J. Edgar? Le mystère perdure... Une chose est certaine, nous sommes dépositaires de son héritage et son époque a vu de nombreuses luttes de pouvoir qui ont façonné la politique américaine actuelle.
Plusieurs biographies sont l'occasion pour les cinéastes de montrer les liens entre image publique, corruption et pouvoir. On n'a qu'à penser à Hoffa, dans lequel un Jack Nicholson interprète ce célèbre et puissant militant syndical américain, pourri jusqu'à la moelle, que le sénateur Robert Kennedy a poursuivi sans relâche jusqu'à sa condamnation à 15 ans de prison, en raison de ses liens avec la mafia de Chicago... jusqu'à ce que Nixon le gracie, seulement quatre ans plus tard. Il s'agit d'un portrait du monde politique américain, vu de biais, dans tout ce qu'il a de commun avec un panier de crabes, et les leçons que l'on peut en tirer, c'est que les hommes politiques se succèdent, mais que la lutte pour le pouvoir, elle, demeure.
Ainsi, dans JFK (1991), Oliver Stone s'intéresse à l'une des pages les plus sombres de l'histoire politique américaine. L'enquête menée par le procureur de la Louisiane Jim Garrison (interprété alors par un Kevin Costner au sommet de sa gloire), nous est présentée en détail. L'analyse complexe du soi-disant complot ayant mené à la mort du Président américain, les inextricables liens unissant le FBI, la CIA, la mafia sont mis en évidence dans une mise en scène riche et un scénario extrêmement enlevant. À l'époque où l'Amérique craignait la menace rouge dans une Guerre froide qui risquait de faire sauter la planète, jamais les Américains n'auraient cru à la thèse évoquant un complot à l'interne pour éliminer un Président trop têtu. Or, depuis la sortie du film d'Oliver Stone, le climat politique a bien changé et l'hypothèse qu'un coup d'État ait été manigancé par les grandes agences de renseignement semble désormais beaucoup plus plausible. La paranoïa ambiante, contrecoup du 11 septembre 2001, est également un terreau fertile pour les cinéastes en manque d'inspiration, car si l'histoire nous apprend quelque chose, c'est bien qu'elle se répète.
Kevin Costner compte par ailleurs à son actif un autre film, dont l'intrigue se déroule à l'époque de la crise des missiles cubains, qui offre des éléments de réponse sur les raisons qui auraient pu contribuer à faire de JFK la victime d'un coup d'État. Le brillant Thirteen Days explique en détails le genre de pression qu'un président américain peut subir de la part d'une droite militarisée, qui n'a de compte à rendre à personne et pour qui la politique consiste essentiellement en un concours de « mon père est plus fort que le tien ». Que le Président ait résisté aux pressions de son État major et sauvé son pays, c'est très louable, mais de penser que c'est peut-être cette résistance qui lui a coûté la vie est une notion quelque peu perturbante. Quand la démocratie ne vaut pas mieux qu'un spectacle de vaudeville, pas surprenant que le cynisme ait gagné les citoyens.
Or, ce cynisme dans la mentalité américaine doit beaucoup à Richard Nixon à qui Hollywood a dédié deux films très intéressants. Le premier (Nixon, réalisé lui aussi par Oliver Stone en 1995) mettait en vedette un Anthony Hopkins convaincant, décortique la vie de cet homme rigide et conservateur, ambitieux et calculateur, et expose les choix qui ont mené à sa démission, suite au scandale du Watergate. Le second, bien meilleur, nous montre le contexte entourant le duel médiatique qui a opposé un journaliste britannique (David Frost) à l'ancien commandant en chef, dans le cadre d'entrevues extrêmement serrées qui ont permis de faire la lumière sur le Watergate. Frost/Nixon est une oeuvre phare d'une rare qualité où deux acteurs livrent une prestation magnifique (Frank Langella, Michael Sheen). Il nous permet de mieux comprendre les mécanismes qui ont amené les médias à acquérir une telle importance dans la mise en scène de la politique.
Malheureusement pour lui (et pour nous), Oliver Stone a perdu la main. W., inspiré il est vrai d'un politicien insipide au cube, nous entraîne dans une nouvelle ère: l'ère du contenant, consommable et jetable. Dans ses films politiques précédents, Stone mettait l'accent sur la cohérence historique et exposait des événements et des personnages profonds et complexes. Dans W., comme dans la société, l'insipidité a finalement gagné son pari et les débats de fond n'existent plus. Au final, force est de constater que nous vivons dans une époque bien triste qui n'engendre plus ni grandeur, ni action et où plus personne n'est imputable.