Le 22 novembre 1963, le « Commandant en chef » de la patrie de la liberté est froidement abattu alors qu'il défile paisiblement dans les rues de Dallas. Le traumatisme est alors ressenti partout dans le monde. C'est la seconde fois qu'un Président américain est tué devant témoins, à l'apogée de sa gloire, et par un compatriote de surcroît.
Or, le cinéma hollywoodien n'a toujours pas véritablement intégré le traumatisme et tente toujours, un demi-siècle plus tard, de l'exorciser en offrant au public des intrigues qui se terminent bien et où l'Aigle triomphe du Loup, que la menace prenne la forme d'une prise d'otage (Air Force One), d'une invasion extraterrestre (Independance Day) ou d'une catastrophe naturelle (Deep Impact). En plus d'incarner un chef d'état parfait, il doit faire preuve des qualités inhérentes au « parfait G.I. » : courageux, impérieux, vertueux. Ces qualités positives, marques de sa suprématie, assurent sa survie. D'ailleurs, aucun cinéaste n'a encore osé mettre en scène l'assassinat réussi d'un Président, à moins qu'il ne s'agisse d'une reconstitution des événements entourant la mort de Lincoln ou JFK (ou du faux-documentaire Death of A President, qui l'évoquait). Les plaies de la nation n'ont apparemment jamais vraiment cicatrisé.
White House Down, paru vendredi dernier, s'inscrit dans cette succession de films ayant pour cadre la Maison-Blanche et dont l'intrigue tourne autour de l'importance capitale que revêt la protection du Président. S'éloignant du cliché habituel qui met en scène un ennemi étranger (depuis les Russes, on a passé par des phases islamistes et asiatiques), c'est une cohorte de suprématistes issus de l'extrême-droite américaine, refusant que le Président retire ses troupes du Moyen-Orient, qui jouent ici le rôle des antagonistes. Le scénario a l'avantage d'être d'actualité. Avec Barack Obama à la tête du pays, les ressemblances entre le personnage de Jamie Foxx et le 44e Président ne sont pas fortuites. Il y a fort à parier que le fait d'illustrer l'ennemi comme faisant partie intégrante du pays de l'Oncle Sam plaira sans doute aux conspirationnistes et à l'élite démocrate, mais que cette prémisse plaise aussi au public du « midwest » reste cependant à prouver.
Historiquement, la majorité Présidents américains ont fait leur service militaire. Barack Obama - et Bill Clinton - sont les deux seuls Présidents à avoir été élus sans expérience militaire depuis Franklin D. Roosevelt, et il s'agit de l'un des reproches les plus fréquemment adressés aux candidats à la présidence des États-Unis, surtout en temps de guerre comme c'est le cas actuellement. Comment confier le mandat de commander les armées les plus puissantes du monde à quelqu'un qui ignore tout de la chose militaire? D'un autre côté, on pourrait objecter que le fait d'avoir obéi aux ordres de quelqu'un est un mauvais indicateur pour évaluer le leadership potentiel d'un homme d'État!
En lien avec la tradition, Wolfgang Petersen a choisi Harrison Ford pour le rôle du parfait Commandant en chef et ancien militaire dans Air Force One. Petersen s'était déjà intéressé aux répercussions d'un attentat sur un président américain dans In the Line of Fire (1993) avec Clint Eastwood, mais il prend dans Air Force One le point de vue du Président lui-même. Bien que la Guerre froide ait été terminée depuis belle lurette lors de la sortie du film (1997), c'est un commando russe (dans les faits, le commando est kazakh, mais pour l'Américain moyen, il n'y a là aucune différence...) qui attaque l'avion présidentiel et prend en otage tous les passagers dans le but d'obtenir la libération de leur chef. Encore un film où les Russes sont identifiés comme l'ennemi, répercussion des politiques hooveriennes. Il faudra presque vingt ans - et nombre d'attentats perpétrés par des cellules terroristes diverses - pour que s'effectue un changement au niveau de la nationalité des méchants dans le cinéma hollywoodien.
Dans Air Force One, une débandade où la fameuse politique américaine stipulant « qu'on ne négocie pas avec les terroristes » est bien soulignée, le Président devient non seulement le sauveur de sa famille, mais également le sauveur du monde. Un tel homme, droit, vertueux, père de famille aimant et courageux, représente à lui seul ce que les Américains perçoivent d'eux-mêmes et recherchent, consciemment ou non, chez un leader. Or, on a pu s'apercevoir depuis que cette perception est fautive et absolument irréaliste : les élites et médias américains qui font la promotion d'une telle image magnifiée des hommes politiques sont les mêmes qui ont le pouvoir de les détruire au moindre faux pas.
À ce titre, White House Down est peut-être un peu plus réaliste (!) en ce sens que, pour se tirer du pétrin, le Président requiert l'aide d'un soldat qui a l'expérience militaire qui lui manque. Et pourtant, malgré cette « lacune », Emmerich présente une scène clé où le Président, sous la menace, refuse de débloquer les ogives nucléaires. Comme quoi, lorsque vient le temps de faire preuve d'une véritable force morale, ce n'est pas le fusil qui fait le héros...
À l'inverse, Olympus Has Fallen, paru ce printemps, refuse de se mouiller au niveau moral et ne répond jamais vraiment à la question : que devrait faire un bon Président? La prémisse et l'intrigue du film sont typiquement linéaires et manichéennes : un héros - encore un militaire ou un agent des services spéciaux - fera son devoir pour protéger le Président - donc la Nation - et se débarrasser des méchants au goût du jour - des Nord-Coréens dans ce cas-ci. Ce patriotisme de pacotille, qui magnifie le soldat, transforme le Président en simple accessoire et fait la promotion du « tirer en premier, réfléchissez après », est tellement usé qu'il en devient risible. Surtout lorsque le « soldat américain modèle » en question est interprété par un Écossais avec un accent à couper au couteau (Gerard Butler).
Au final, sans propos et sans véritable profondeur, tous ces films - de propagande - soulignent la suprématie d'un pays en se basant sur la force de ses leaders. Or, lorsque l'Histoire a prouvé que ses leaders les plus forts et les plus charismatiques ont connu une fin tragique, la fiction donne à voir aux Américains une réalité fantasmée où l'on tente tant bien que mal de réconcilier les idéaux de liberté et de paix avec des valeurs martiales valorisant plutôt les armes. Et le cinéma a si bien fait son travail qu'encore aujourd'hui, certains réussissent à persuader les électeurs que force morale et force militaire sont les deux faces d'une même médaille.