Il y a quelques années à peine, on reprochait à Patrick Huard sa tendance à sortir de son cadre scénique pour toucher davantage au monde du cinéma. Certains conservateurs prétendaient à l'époque qu'un humoriste ne devait pas outrepasser les limites de la scène, au risque d'usurper du travail aux « vrais » acteurs. Les temps ont, semble-t-il, changé puisque de nos jours, les humoristes et le cinéma sont de proches alliés. Que ce soit des rôles secondaires - comme Martin Matte dans Nitro, Laurent Paquin dans Filière 13 ou Phillipe Bond dans Lance et compte (à qui l'on a donné une demi-réplique) - ou des premiers rôles - à l'image de Rachid Badouri dans L'appât ou de Louis-José Houde dans De père en flic - la présence d'un humoriste populaire à l'écran est souvent un gage de succès, ou du moins, d'une forte probabilité de commentaires favorables.
Puisque faire du cinéma au Québec est de plus en plus laborieux - avec les demandes de subventions fastidieuses et le nombre dérisoire d'élus -, les cinéastes ont dû réfléchir à la manière la plus efficace de vendre notre cinéma national, à comment convaincre le public de se déplacer dans les salles et de choisir un produit québécois plutôt qu'une oeuvre américaine. De là est sans doute née la réflexion suivante : si des milliers et des milliers de personnes assistent aux spectacles de différents humoristes chaque année, peut-on parvenir à attirer ces mêmes spectateurs dans les salles de cinéma si leur artiste préféré y est en vedette? Le succès retentissant de la comédie d'action Bon Cop, Bad Cop en 2006 était un indice révélateur de l'efficacité d'une telle pratique. L'an dernier, lors de la sortie du film De père en flic, il était alors facile et légitime d'associer la popularité de l'oeuvre (plus de 10 millions $ au box-office) au succès considérable que connaît l'humoriste Louis-José Houde dans les salles du Québec. Et ce n'était qu'une question de temps avant que l'énergique et généreux Rachid Badouri, qui affiche pleinement son amour inconditionnel pour le septième art, fasse son apparition - justifiée - au cinéma. Mais avec tous ces humoristes estimés et talentueux qui défilent allègrement sur nos écrans, il est raisonnable de se questionner sur le rôle mercantile qu'ils ont dans le domaine cinématographique et, en parallèle, l'appui qu'ils ont su apporter au cinéma québécois.
Que ce soit la discrète présence de Martin Petit dans Les Boys 2 ou la marquante performance de Stéphane Rousseau dans Les invasions barbares, les humoristes québécois occupent désormais une place substantielle dans notre cinématographie. L'exercice dramatique d'un acteur à l'écran n'est pas totalement étranger à la performance des humoristes sur scène. Même s'ils racontent la même chose tous les soirs durant des mois, les humoristes doivent réussir à nous convaincre de la pertinence de leurs textes et de leur originalité. Ils finissent donc tous par développer, inévitablement, des qualités d'interprète. De plus, on a tendance à leur accorder des rôles qui leur sied parfaitement ou à échafauder des personnages à leur image. Ce fut d'ailleurs le cas de Patrick Groulx, à qui l'on a accordé un caméo mémorable dans le film Dans une galaxie près de chez vous 2, ou de Louis-José Houde dans Bon Cop, Bad Cop, dans lequel il interprétait un coroner excentrique et verbomoteur. Ces apparitions - parfois discrètes, souvent mémorables - peuvent être l'ingrédient qui convaincra le public de se déplacer dans les salles. Elles représentent également un point de départ intéressant autour duquel construire une campagne virale. Parlez-en à André Sauvé qui a récemment joué dans une fausse info-pub contre le stress quotidien lors de la campagne entourant le lancement de Filière 13.
Cette technique de mimétisme entre un personnage et son interprète doit, par contre, être utilisée avec parcimonie, surtout lorsqu'on veut créer un sentiment d'attachement envers ledit personnage. Les parallèles que fait L'appât entre le personnage de Rachid Badouri et lui-même sont plutôt déconcertants pour les plus familiers à l'univers de l'humoriste, puisqu'on ne parvient pas à oublier l'acteur derrière le protagoniste. La crédibilité de l'histoire est ainsi mise à l'épreuve, et, la plupart du temps, fortement ébranlée. Et c'est sans parler d'une blague de son premier spectacle, associant Arabes au terme « éclater », que l'on retrouve presque textuellement dans le film. Se détacher de l'homme de scène est pratiquement impossible avec toutes ces références littérales.
Peut-être que si on accordait aux humoristes de « vrais » rôles, et non pas d'artificiels pastiches d'eux-mêmes, ils auraient l'occasion de nous prouver à la fois leur talent et la nécessité de leur présence sur nos écrans. Même si De père en flic a brisé des records d'assistance, il n'en reste pas moins que les critiques envers Louis-José Houde sont mitigées, relevant du fait qu' il s'incarnait lui-même. Nous verrons cet été s'il peut être considéré comme un acteur alors qu'il campera le rôle d'un humoriste inexpérimenté qui méprise son public (tout le contraire du Louis-José Houde que l'on connaît - ou croit connaître).
Cette (sur-)utilisation des humoristes au grand écran n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Elle l'est sans doute lorsque les humoristes ne démontrent aucun talent particulier pour le jeu et sont exploités uniquement pour leur image, mais leurs habiletés dramatiques sont souvent à la hauteur de leur notoriété. Alors cette place sous les projeteurs d'un plateau, ils la méritent tout autant qu'un acteur de formation. Et si cette faveur du public qu'ils possèdent originalement peut encourager les gens à consommer des oeuvres québécoises, tant mieux.
Il y aura toujours des gens pour se plaindre de la place prépondérante des humoristes au cinéma - et ailleurs. Mais la comédie est le genre cinématographique le plus populaire au Québec, et qui de mieux pour faire rire le public que ces idoles de l'humour au sommet de leur carrière telles que Rachid Badouri, Louis-José Houde ou Patrick Huard. Certes, ils ont tendance à usurper - souvent involontairement - la vedette aux acteurs, mais, si c'est en faveur du succès d'un film, les comédiens devront rester patients et attendre que la mode passe (parce qu'elle passe toujours) et pourront librement retrouver leur place sous les projecteurs et en tête des génériques.