Jack Sparrow a repris du service hier après quatre ans d'absence. Pirates of the Caribbean fut une franchise si lucrative pour Walt Disney - les trois premiers films ont récolté plus d'un milliard $ en Amérique du Nord et près du double dans le reste du monde - qu'il n'est pas vraiment surprenant de revoir Johnny Depp enfiler à nouveau les habits du maintenant célèbre capitaine. Ce quatrième opus en fait réfléchir plus d'un sur la nécessité de produire des séries si longues et dispendieuses (puisque même si les scènes en mer ont été réduites à un minimum et que la plupart des locations de tournage ont été changées pour diminuer les coûts de production, Pirates of the Caribbean: On Stranger Tides a tout de même coûté près de 300 millions $).
La raison première est bien évidemment la rentabilité du produit. Maintenant (parce que ce n'était pas le cas il y a deux ou trois décennies), un film qui connaît un succès considérable en salles (plus de 150-200 millions $ en Amérique du Nord) sera presque automatiquement considéré pour faire l'objet d'une franchise. Le fait que les personnages soient connus et appréciés du public, tout comme le contexte historique et/ou les acteurs principaux de l'oeuvre, assure un auditoire aux studios et, donc, un profit certain. À titre d'exemple, plusieurs croyaient que la franchise The Fast and The Furious serait terminée après le troisième film, The Fast and the Furious: Tokyo Drift, qui n'a rapporté que 62 millions $ en Amérique du Nord. Surprenant tous les sceptiques, Vin Diesel a décidé de produire un quatrième long métrage dans lequel il incarnerait à nouveau son personnage de Dominic Toretto et a convaincu Paul Walker de revenir sous les traits de Brian O'Conner. Résultat : Fast and Furious a récolté 155 millions $ chez nous et 208 millions $ outremer devenant ainsi le chapitre le plus rentable de la franchise jusqu'alors. Fast Five, paru sur les écrans il y a quelques semaines, a obtenu jusqu'à maintenant des gains de plus de 180 millions $ en Amérique du Nord et de 275 millions $ internationalement. Même si de nombreux cinéphiles se plaignent de cette accumulation « injustifiée » d'adrénaline et d'abrutissement au grand écran, les recettes faramineuses de ces suites ne peuvent qu'encourager les producteurs à continuer dans cette avenue.
Les trilogies sont monnaie courante dans le cinéma américain, mais cette tendance à poursuivre au-delà du troisième film est plutôt nouvelle. Dans les années 80, ce sont davantage les films d'horreur qui subissaient ce genre d'expansion; Friday the 13th, Aliens, A Nightmare on Elm Street, Halloween, en sont de bons exemples - Final Destination et Saw ont d'ailleurs fait honneur au mouvement en poursuivant la saga jusqu'à cinq et six opus. Évidemment, il y a certains classiques qui ont été prolongés passablement, comme Rocky ou Batman, mais il aura tout de même fallu onze ans à George Lucas pour s'attaquer au quatrième volet sa célèbre franchise Star Wars, aussi longtemps qu'il aura fallu à Wes Craven pour poursuivre Scream au-delà de sa trilogie amorcée dans les années 90. Comme si Hollywood manquait d'inspiration, de sujets pertinents et profitables à exploiter... Les films à gros budget sont maintenant financés - presque exclusivement - s'ils ont un potentiel pertinent de suites. Quel dernier blockbuster ne fut pas envisagé pour une suite ou n'était pas une suite (spin-off, prequel, etc.) lui-même?
Ce mouvement, devenu coutume, entraîne une sorte d'aliénation, d'anesthésie créative, qui n'est rentable que pour les coffres. En s'entêtant à croupir dans des lieux communs, on nuit inévitablement au versant artistique du cinéma - ce n'est évidemment guère l'intérêt premier d'un Pirates of the Caribbean ou d'un Fast and Furious de faire évoluer l'aspect artistique de la cinématographie, mais ces films ne démontrent même pas la volonté de se surpasser et, ça, c'est affligeant. Peut-être que si on trouvait un moyen de renouveler, de raviver la sauce plutôt que de l'étirer, les énièmes suites auraient leur raison d'être, mais ce ne sont guère les résultats que nous dévoile Hollywood; on nous sert du réchauffé et du prémâché sans même paraître gêné ou contrarié. En voulant prolonger des histoires déjà bouclées ou habilement ficelées, on arrive parfois même à détruire des mythes, des institutions (ne parlez pas de Matrix 2 et 3; ils n'ont jamais existé).
Même si nombreux sont ceux qui déplorent cette tendance expansionniste du cinéma américain, nous n'avons que très peu de pouvoir. En fait, nous l'encourageons et y trouvons même parfois un bonheur insoupçonné. Qui n'a pas éprouvé un plaisir coupable en apprenant le retour d'Indiana Jones il y a quelques années ou celui de Spider-Man l'an prochain? Qu'on dise bien ce que l'on veut, ces longues séries ont quelques choses de rassurant auquel nous ne sommes pas insensibles...