Le deuxième long métrage du réalisateur Benoit Pilon (qui a reçu le Jutra du meilleur film pour Ce qu'il faut pour vivre) prend l'affiche ce vendredi dans les cinémas du Québec. Décharge met en vedette David Boutin, Sophie Desmarais et Isabel Richer et raconte l'histoire d'un ancien toxicomane qui essaie d'aider une jeune prostituée à régler ses problèmes de consommation et à reprendre le contrôle de sa vie.
Le quartier du Sud-Ouest de Montréal prend beaucoup de place dans le récit. « Très très rapidement, quand j'écrivais cette histoire-là, je l'ai ancrée dans ce quartier. Ce type d'histoire, où il y a des citoyens qui décident de ne pas laisser les trafiquants s'installer, ça ne pouvait pas être dans Montréal-Nord ou Saint-Michel, où les gangs ont déjà le contrôle. Je voulais aussi un quartier ouvrier en transition, je me disais qu'Hochelaga-Maisonneuve on l'a vu souvent au cinéma, et ce que j'aimais du Sud-Ouest c'est cette distance qu'il y a par rapport au centre-ville. Je voulais que ce soit un film urbain, mais plus faubourg, un peu en périphérie. J'essayais toujours qu'on aperçoive au loin le centre-ville, comme un lieu qui est là et où on aimerait aller », déclare d'entrée de jeu le réalisateur.
« Au niveau purement cinématographique, de l'architecture, des devantures de magasins, il y avait quelque chose de très photographique. »
Le lien avec le réel est donc primordial; cette sensibilité vient-elle de votre expérience en documentaire? « C'est peut-être une sensibilité à ces choses-là, un désir de les montrer aussi, de plonger dans une certaine réalité... Dans mon travail, ça toujours été un peu mixé, mélangé, parce que j'ai fait des documentaires en voulant raconter des histoires et je fais de la fiction en voulant m'inspirer du réel. »
« On tournait dans une certaine urgence, beaucoup de caméra à l'épaule, notre travail était vraiment de mettre en scène des situations. On se mettait un peu sous tension, on est en danger dans certaines scènes, il y avait des moments où c'était difficile. Ça demandait une forte concentration. »
A-t-on l'occasion de se laisser influencer par les circonstances? « Oui, toujours. Il y a toujours un canevas, un découpage prévu; tu visites les locations, tu expliques à l'équipe comment tu vas tourner les choses, les axes, mais après ça tu arrives sur place, tu travailles avec les acteurs et la scène prend une autre dimension. Il faut que tu sois prêt à t'adapter. »
Le même phénomène se produit aussi au montage. « Au montage, nécessairement, on coupe des choses. On se demande : « comment ça se fait, à l'écriture, que je ne l'ai pas vu? Pourquoi il fallait tourner ça? » N'importe quel cinéaste te dirait ça. Il y a quelque chose qui m'a frappé cette fois-ci. Je compare à mon expérience en documentaire : tu tournes des gens dans leur réalité, tu te ramasses avec 50 ou 60 heures de matériel et tu construis, à partir de ça, un récit dont tu as eu l'intuition pendant le tournage, mais que tu construis au montage. En fiction, tu écris un scénario, tu tournes tout ça... le feeling que j'ai eu c'est que les scènes que tu as tournées, et dont tu n'as plus besoin au montage, c'est un peu comme cette vie-là des personnages que les acteurs ont vécu, qu'ils l'ont joué, a nourri les autres scènes. C'est un peu comme ces heures-là en documentaire... mais ce ne sont pas des scènes inutiles, au moment où tu as écrit le scénario tu avais besoin de tous ces éléments-là, pour créer une logique, une structure de vie. »
« Tu te rends compte au montage que ces éléments-là ne sont pas nécessaires aux émotions et à ce qui est véhiculé par le film une fois terminé. C'est des choses que les acteurs ont vécues qui ont nourri le récit. »
C'est David Boutin qui incarne le personnage principal. « David arrive avec une présence physique, il est très souple et on a beaucoup travaillé ensemble sur l'énergie du personnage. Dans la vie, David est quelqu'un qui est beaucoup plus pétillant que le personnage. J'avais à travailler avec lui pour ramener le côté très ancré, terrien; Pierre Dalpé pour moi c'est un roc qui se fissure, c'était l'image que je voulais donner. »
Le principal intéressé abonde dans le même sens. « C'est un gars qui a été élevé dans ce quartier-là, qui a décidé que sa vie allait se passer là, c'est là qu'il travaille, il connait les rues par coeur, les ruelles, et il décide même de prendre le quartier en main, de le nettoyer. Il a l'intention de faire de ce quartier-là un endroit bien pour ses enfants, pour élever une famille. »
On peut aisément imaginer que d'enfiler le costume et d'intégrer les décors donne déjà du corps au personnage. « C'est aussi ça le cinéma, c'est de se retrouver dans des lieux, il y a quelque chose d'inspirant, d'entrer dans un univers. Ça fait partie du plaisir d'être simplement dans le moment présent pour le personnage. »
Qui est-il? « En fait, je pense que c'est simplement un gars qui était très rock n'roll, mais qu'à un moment donné, à travers sa rencontre avec Madeleine, le personnage d'Isabel, il a décidé qu'il prendrait un autre chemin. Il bâtit sa compagnie, bâtit sa famille... mais un jour, à travers sa rencontre avec Ève, c'est tout ce passé-là, qu'il croyait avoir dompté, contrôlé, qui vient le frapper en arrière de la tête et l'ébranler dans son espèce d'armure. Il y a des fissures qui apparaissent... Est-ce que c'est une erreur? Il ne fait peut-être pas les meilleurs choix du monde, mais c'est plus fort que lui. C'est quelque chose qu'il croyait maîtriser, mais... »
« C'est un gars qui est assez fort pour, quand il décide de faire un choix, d'aller jusqu'au bout. »
Comment s'est déroulé le travail avec Benoit?« C'est un gars qui travaille beaucoup dans les détails. Moi j'adore ça! Peaufiner, de prendre le temps, c'est très agréable. Il est tout le temps très précis dans ses affaires, moi j'aime ce genre de travail là. On a embarqué là-dedans, on était à l'aise. Quelqu'un qui dirige beaucoup c'est parce qu'il a une vision claire d'où il veut aller. »