Le réalisateur Alain Cavalier et l'acteur Vincent Lindon sont les vedettes de Pater, un long métrage où deux amis s'amusent à jouer, au fil de leurs rencontres, les rôles de Président de la République et de Premier ministre. Tourné avec une caméra numérique, dans des décors naturels, le film est le fruit de la relation amicale entre les deux hommes.
À un certain moment dans votre film, vous dites à Vincent Lindon : « Si c'est un film, ce n'est pas vrai », et il vous répond : « Si c'est un film, c'est que c'est vrai. » « C'est un peu la définition du film. On ne savait plus à la fin si on était Premier ministre et Président ou simplement Vincent et Alain. Il y avait une part de vérité, une part de fiction, et à la fin, moi, qui étais plutôt l'organisateur du film, je disais que c'était un jeu, mais Vincent, qui est acteur, disait non, ce n'est pas un jeu, c'est la vérité. »
« Moi je propose au public un récit normal, qui est : deux hommes se rencontrent, il se trouve qu'ils sont cinéastes et comédiens, et ils décident d'être Président de la République et Premier ministre de temps en temps. C'est un récit normal. Vu sous un autre angle, c'est le cinéma dans le cinéma. Mais moi ça m'est complètement égal, le récit intéressant c'est ces deux types qui deviennent Président et Premier ministre de la République et le mécanisme qui les amène à l'être, à en sortir et à y revenir. »
En tant que réalisateur, vous êtes le Président de la République de votre film. « Mais oui, le réalisateur c'est le patron du film. En même temps, quelques fois les comédiens ont une grande importance dans les films, d'abord parce qu'ils se montrent, mais ils ont aussi une idée intellectuelle de comment ils doivent travailler. Avec Vincent, on se connaissait bien, c'est aussi l'histoire de notre amitié. »
On ne l'a jamais vu jouer de cette façon. « Il est plus proche de lui-même. Quand il a vu le film pour la première fois, ça lui a fait un choc parce que; vous connaissez les acteurs, ils mettent en valeur ce qu'ils croient être le meilleur d'eux-mêmes, et il y a toute une série de choses qu'ils cachent, parce qu'ils ont un peu honte. Tout le monde dans la vie aussi fait ça. » Vous vous montrez ces choses-là. « Nous deux, sans témoins, sans rien, sans maquillage, sans scénario, on n'en avait rien à foutre. »
La liberté que vous offre la caméra est nécessaire au film. « Ça tient entièrement à la vidéo, on ne peut pas faire ça en 35mm. Comment voulez-vous qu'à deux on manipule une caméra 35mm? Non. Je choisissais des endroits qui me paraissaient bien éclairés. »
Vous ne regrettez pas ce délaissement de la pellicule pour le cinéma numérique? « Le cinéma n'a que 110 ans. Il pousse comme ça dans tous les sens. Il se métamorphose, il trouve des trucs dans la vidéo. Tout le monde peut faire un film d'une heure et demie en louant une caméra et en achetant quelques cassettes. C'est une révolution pour moi qui fais des films depuis 50 ans. Mais pas seulement une révolution technique, une révolution mentale! Aucun cinéaste ne peut dire aujourd'hui « c'est le système, c'est le manque d'argent qui m'empêche de faire des films. » Avec une toute petite caméra, on peut faire un film génial. »
Il serait facile de politiser votre film, de s'en servir à des fins partisanes. Est-ce arrivé? « C'est arrivé que des hommes politiques fassent allusion au film. »
Vous proposez dans le film une loi sur l'écart entre les salaires, et vous en faites même l'enjeu d'une élection. Croyez-vous que les citoyens sont prêts à l'envisager? « Je crois qu'il faudra attendre un petit peu. Je suis sûr qu'un jour l'écart salarial sera fixé par une loi, et que ce sera même dans la Constitution. » Vous dites dans le film « Personne ne devrait gagner plus que le Président de la République. ». « Voilà! Ça me paraît l'évidence absolue, d'une simplicité... » C'est tellement simple que c'est impossible à faire. « Bien voilà. La société est beaucoup plus compliquée que ça. Les riches, évidemment, vont se défendre, et les pauvres... ils vont essayer de devenir riches! »
« Un jour, la nécessité fera le projet. »
Est-ce que le cinéma peut influencer les idées politiques? « Non. Si un jour l'écart des salaires est dans la Constitution, j'aurai mis une petite graine au passage, c'est tout. Quand le cinéma est une force politique, ce n'est pas toujours parce qu'il a un sujet politique. C'est une certaine façon de regarder la vie, qui devient une force politique. »
« Avec Vincent, nous avons fait un film sur l'écart des salaires. En tant que cinéaste, j'ai une valeur marchande qui est bien inférieure à celle de Vincent. On ne pouvait pas faire ce film, sur les problèmes de salaire, si on n'avait pas touché le même salaire. Ce n'est pas moi qui me suis augmenté, c'est Vincent qui a touché la même somme que moi. Dans sa propre vie, il faut mettre les idées en application. Sinon, ce n'est pas la peine. »
Pater prend l'affiche à Montréal et à Québec dès vendredi.