Réputé pour ses oeuvres absurdes comme Rubber et Mandibules, Quentin Dupieux ose le réalisme avec Yannick, un film tourné en six jours qui se veut un portrait implacable de notre époque.
Que ferait des acteurs si un spectateur arrêtait leur pièce de théâtre en pleine performance parce qu'il n'aime pas le résultat? C'est ce qui arrive à trois comédiens (Pio Marmaï, Blanche Gardin et Sébastien Chassagne) qui sont médusés devant Yannick (Raphaël Quenard). Non seulement ce dernier se met à rouspéter, mais lorsqu'il sort une arme, il exige que la troupe se mette à jouer ses textes!
Porté par le fabuleux Raphaël Quenard, qui aurait facilement eu sa place dans Le dîner de cons avec ses facéties irrésistibles, Yannick est un miroir à peine déformé du monde d'aujourd'hui. Un endroit où l'égoïsme règne, se reflétant chez les gens qui ont comme mantra « j'ai payé et je choisis ». Ce qui les intéresse n'est pas l'art, mais le simple divertissement.
Il n'est pourtant pas question d'une dichotomie entre l'idiot et les vertueux, bien qu'un mépris de classes s'effectue dans l'ombre et qu'elle prenne des proportions politiques. Les artistes ne sont pas nécessairement traités avec plus d'égard. La pièce arrêtée - qu'ils défendent bec et ongles - s'avère un vaudeville de piètre qualité. Du théâtre qu'à peu près n'importe qui aurait pu écrire... et que le public savoure sans nécessairement se poser de questions.
Ce ton cynique devient de plus en plus humain au fil du récit, une tangente que l'on retrouve dans le cinéma de Dupieux depuis son mélancolique Incroyable mais vrai. La démonstration peut paraître lourde, peu subtile et pétrie de clichés, mais elle est constamment portée par des décharges ironiques, sarcastiques et satiriques.
Le malaise mène le bal et rien ne peut l'arrêter. Les situations imprévisibles se succèdent au tournant, et l'histoire trouve toujours le moyen de se renouveler. Si l'antihéros n'est pas en train d'imaginer différemment la suite des choses, il se met à discuter avec des gens du public. L'écriture forte et ciselée évite les redondances d'usage.
Le film n'a pas le temps d'épuiser sa brillante idée, car il se termine au bon moment. 67 minutes bien tassées, et on assiste à la tombée du rideau. La faible durée de l'exercice permet non seulement de développer le rythme souhaité, mais également de le faire respirer. La mise en scène quelque peu limitée au huis clos théâtral mise tout sur ses comédiens.
Ces derniers sont tous excellents. On retrouvait déjà Blanche Gardin et Raphaël Quenard dans un hilarant sketch qui figurait dans le précédent Fumer fait tousser de Dupieux. La première est capable de faire rire une roche, alors que le second trouve un rôle qui risque de lui coller à la peau. Ils sont entourés du toujours impeccable Pio Marmaï (Porthos dans les récentes adaptations des Trois mousquetaires) et du pince-sans-rire Sébastien Chassagne, que l'on a pu voir dans Coupez! de Michel Hazanavicius.
Sans atteindre le génie de ses meilleures créations que sont Au poste! et Réalité, Quentin Dupieux montre avec son jouissif Yannick une nouvelle palette de son talent. Celui qui se soucie de tous ses personnages, même les plus limités. En tournant un film par année, on pouvait croire que la source d'inspiration aurait pu se tarir. Pourtant, elle semble illimitée, et le cinéaste offre ici un hommage senti au métier d'acteur et de scénariste.