Ces temps-ci, difficile de trouver un scénariste plus talentueux que Taylor Sheridan. Il est responsable des scénarios de Sicario et surtout d'Hell or High Water, un des films américains les plus intéressants de 2016. Voilà qu'il conclut sa trilogie sur les frontières et les grands espaces de son pays avec Wind River, qu'il a également mis en scène.
À partir d'un scénario plus ou moins original - une enquête est menée pour faire la lumière sur le meurtre inexpliqué d'une adolescente sur une réserve indienne - qui demeure très efficace quoiqu'un peu prévisible, l'ancien comédien affine ses thèmes de prédilection. On a droit à une nouvelle radiographie des États-Unis, de sa violence latente qui se heurte à la nature sauvage, autant celle des humains que des bêtes et des éléments. Pauvreté, corruption et désillusions forment un cocktail Molotov prêt à exploser à chaque instant. Lorsqu'on rajoute à tout ça une réflexion sur la mainmise de l'homme sur la femme et du Blanc sur le reste (n'est-ce pas la neige qui semble tout engouffrer sur son passage?), impossible de ne pas faire de liens avec l'actualité. Surtout lorsqu'on évoque toutes ces disparitions de femmes autochtones qui semblent survenir dans le silence le plus total.
Sans être toujours subtil (on se serait passé des métaphores sur le chasseur, les loups et leurs proies), le récit va beaucoup plus loin que tous les Frozen River, Iqaluit et autres Miséricorde. Il s'agit d'un polar magnifiquement photographié qui se mute en western existentiel. Le rythme lent et mélancolique est souvent plus près du drame psychologique que du suspense, ce qui n'empêche pas la tension de se créer et d'imploser lors d'affrontements bruts, dans la tradition des longs métrages étasuniens des années 70. Après l'horrifique Vile, Sheridan s'en sort honorablement pour sa deuxième réalisation (récompensée à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard), quoique son plus grand talent soit sa plume, verbeuse mais incisive, qui atteint parfois le sommet des cimes lorsqu'elle est transportée par les mélodies troublantes de Nick Cave et de Warren Ellis.
Capable du meilleur comme du pire, Jeremy Renner trouve un de ses plus beaux rôles en carrière en pisteur abîmé par l'existence qui cherche à faire la paix avec son passé. L'acteur est intense et d'une très grande force tranquille, laissant ses yeux mener la discussion. On ne peut en dire autant de sa collègue des Avengers, Elizabeth Olsen. Cette interprète qui avait marqué les cinéphiles avec l'excellent Martha Marcy May Marlene en 2011 a prouvé au fil des années qu'elle n'est qu'un feu de paille (son récent et décevant Ingrid Goes West ne change rien) et son manque de crédibilité s'avère flagrant en agente du FBI.
Dur et sensible à la fois, Wind River est un de ces films viscéraux qui en dit long sur l'Amérique d'hier à aujourd'hui. Sans atteindre la virtuosité technique d'un Detroit, il s'agit d'un effort de longue haleine qu'on risque d'avoir longtemps en tête et qui émeut terriblement dans sa dernière ligne droite.