Les cinéastes qui dirigent leurs épouses sont légion. Le plus bel exemple dans l'histoire du cinéma est certainement le duo formé de John Cassavetes et de Gena Rowlands qui a apporté tant de choses à leur art. Le contraire est beaucoup plus rare. Angelina Jolie s'avère pratiquement une exception en se mettant en scène aux côtés de son mari Brad Pitt.
Le cadre de By the Sea évoque celui du mythique Voyage en Italie de Roberto Rossellini, qui mettait en vedette sa muse et épouse Ingrid Bergman (tiens, tiens). Un couple américain à la croisée des chemins cherche à sauver son mariage en séjournant dans un hôtel français près de la Méditerranée. Une tentative peu concluante, car monsieur ne pense qu'à écrire son nouveau livre au café/bar et madame à rester cloîtrée. Tout change le jour où de nouveaux mariés (Mélanie Laurent et Melvil Poupaud) louent la chambre à côté d'eux...
Couple le plus glamour et médiatisé d'Hollywood, Brad Pitt et Angelina Jolie ont su contourner les pièges de la célébrité en jouant au fil des années dans des oeuvres généralement méritoires. En heure de gloire, on peut tout se permettre, au grand dam des recettes au box-office. C'est de cette façon qu'il faut envisager ce long métrage qui est aux antipodes de leur précédente collaboration Mr. & Mrs. Smith. Il s'agit d'un film lent, répétitif et dénué d'action, où le scénario en apparence inexistant permet de mieux saisir la souffrance qui lie ces êtres.
Après deux réalisations qui laissaient à désirer (Unbroken et In the Land of Blood and Honey), Angelina Jolie change complètement de registre en demeurant dans l'intimité de ses personnages, qui sont magnifiquement interprétés par des comédiens aguerris. Brad Pitt qui nuance ses intonations et Jolie elle-même, experte des non-dits. Moins présents, Mélanie Laurent et Melvil Poupaud apportent une fraîcheur et un érotisme qui sont loin d'être désagréables, alors que Niels Arestrup est là pour personnifier l'humour et la nostalgie avec ses vieux poncifs sur l'amour.
Parfois trop appuyé, l'ensemble n'en demeure pas moins relativement intéressant. Un couple se meurt, le poids du passé les détruit à petit feu et même s'il n'y a que beauté devant eux (les paysages sont superbes), c'est la noirceur qui a le dernier mot. Les thèmes importants sont nombreux - comme l'aliénation et la difficulté à communiquer - et ils ne sont pas toujours traités adéquatement par la metteure en scène, qui abuse des mouvements de caméra pour prouver qu'elle a sa place dans ce métier. Sa création de ce climat d'étouffement est toutefois au point et la musique, quelque peu envahissante et mélodramatique, est portée par un certain Serge Gainsbourg.
Ses échos aux opus de Michelangelo Antonioni sont cependant un peu gênants. Il y a la chambre d'hôtel suffocante comme dans The Passenger, le voyeurisme presque salvateur qui évoque Blow-Up et surtout ce mutisme lancinant où le vide de l'existence et l'ennui s'avèrent les véritables protagonistes du récit. Un peu plus et on se croirait devant une relecture forcément inférieure des chefs-d'oeuvre L'avventura et La Notte. Même que l'héroïne ressemble un peu beaucoup à l'éternelle Monica Vitti.
Malgré ces quelques fautes de goût, Angelina Jolie a pris du galon en tant que réalisatrice et elle débarque là où personne ne l'attend. Avec un film d'art et d'essai, un brin vaniteux et artificiel, qui a le mérite de jouer avec les possibilités de son médium et de faire connaître aux spectateurs une autre forme de cinéma. Ce n'est pas encore exemplaire et l'émotion peine à percer, ce qui ne l'empêche pas d'être dans la bonne direction.