Adapté de la bande dessinée de Samuel Cantin, Vil & Misérable raconte l'histoire de Lucien Vil, un démon qui travaille comme libraire dans un magasin de livres usagés, lui-même situé chez un concessionnaire de voitures d'occasion baptisé Linguini. Parce que oui, dans le monde imaginé par le bédéiste, les librairies et les concessionnaires auto ne font qu'un. Aussi, les démons et les anges vivent parmi les mortels. Ils voient leurs amis humains mourir les uns après les autres au fil des années et c'est la raison pour laquelle ils craignent de s'attacher. La comédie se veut d'ailleurs une belle ode à l'amitié, de toutes sortes : entre un démon et un jeune homme fraîchement sorti de l'école des libraires, entre deux collègues vendeurs d'auto, ou encore celle - on ne peut plus malsaine - entre un psy aux pratiques douteuses et son patient vulnérable.
L'adaptation du réalisateur Jean-François Leblanc (dont c'est le premier long métrage) est réussie. Celles et ceux qui ont lu la bande dessinée reconnaîtront plusieurs scènes fidèlement calquées des planches. Est-ce que l'humour absurde et le monde fantastique se transposent aussi bien à l'écran? Je dirais que oui, même si je n'ai pas ri autant qu'à la lecture de la BD.
Il y a tout de même de bons gags, particulièrement les références nichées à la littérature. Parce qu'il faut dire que Lucien est âgé de plus de 350 ans : il a côtoyé Balzac et connaît les secrets de Papineau et dévoré une foule de classiques. Nul doute, c'est le libraire le plus dévoué sur Terre.
Il y a aussi des malaises entre certains personnages et des clins d'oeil rigolos (dont le spécisme envers les démons) qui font sourire. Cependant, quand les situations aberrantes se multiplient, trop... c'est comme pas assez. Cela dit, les gens qui aiment l'humour absurde seront plus que servis et riront certainement aux éclats quand la patronne de Lucien (Chantal Fontaine) aura de sérieuses conversations au sujet de l'avenir de son entreprise alors qu'elle est costumée en Garfield (ou plutôt en soldat inconnu des chats). La comédienne est excellente et vole souvent la vedette, même si on ne peut que trouver de nombreuses similitudes avec Jeannine, le personnage mémorable qu'elle incarne dans la série C'est comme ça que je t'aime.
Fabien Cloutier est convaincant malgré son justaucorps moulant rouge vif (!) dans son rôle de démon morose et misanthrope. Il possède cet heureux mélange de candeur et d'autorité qui rend Lucien plutôt attachant. Pierre-Luc Funk est fidèle à lui-même, toujours aussi juste. Ils se débrouillent tous les deux très bien dans cet univers fantaisiste et leur complicité crève l'écran.
La ligne est mince entre jeu réaliste et univers absurde, mais contre toute attente, ça se tient! Assurément grâce au plaisir que les comédiens et comédiennes ont éprouvé pendant le tournage. On peut deviner que le plateau de Jean-François Leblanc était agréable et qu'il y a eu de nombreux fous rires. On pardonne donc les quelques scènes de cabotinage, même si on voudra certainement oublier le party de bureau où le psy de Lucien (Alexis Martin) abuse beaucoup : de drogues, de karaoké et... de notre patience.
La musique de Mathieu David Gagnon (alias Flore Laurentienne) est un véritable atout du film : ses compositions envoûtantes renforcent l'atmosphère absurde et donnent une dimension presque poétique à certaines scènes.
Vil & Misérable est une comédie absurde, sympathique et imparfaite, mais suffisamment rafraîchissante pour décrocher quelques sourires.