Il y a toujours eu un côté magique dans le cinéma de Stéphane Lafleur. Un type disparaissait sans laisser de traces au début de Continental, un film sans fusil. L'homme du futur faisait son apparition le temps d'En terrains connus, alors que des insomnies hors de l'ordinaire berçaient le quotidien de Tu dors Nicole. Le réalisateur québécois s'en donne à coeur joie avec Viking, qui flirte avec la science-fiction.
Il se permet même de visiter Mars en demeurant sur Terre. Lorsque des astronautes sont envoyés sur la planète rouge, une équipe B s'organise en huis clos, participant à une simulation où ils deviennent les alter ego de ces aventuriers afin de régler d'éventuels problèmes interpersonnels. Une façon comme une autre pour David (Steve Laplante) de vivre son rêve. Tout ne se déroule toutefois pas comme prévu et la mission finit par prendre un nouveau sens...
Quel concept incroyable! Le script fourmille de thèmes féconds, des aspirations qui ne se concrétisent pas nécessairement à la vacuité de l'existence, en passant par la solitude inhérente de l'être humain. Ce dernier devra apprendre à laisser ses luttes de pouvoir au vestiaire et à créer des liens avec les autres. Cela s'exprime lors de scènes terre à terre ou de métaphores plus poétiques dans l'espace. Une profonde humanité émane de ce traitement ludique et faussement léger, développant même des pointes mélancoliques lorsqu'il est question d'espoirs déçus.
Si l'on reconnaît toutes les obsessions de son auteur, son traitement humoristique n'est plus le même. De la simple et délicieuse observation absurde, le trait est parfois grossi et même caricatural. Le rire émane des situations, souvent tordantes. Sauf que l'effet ne porte pas toujours fruit parce qu'il manque de naturel ou qu'il se veut répétitif. C'est d'ailleurs la première fois que Stéphane Lafleur travaille avec un coscénariste (Éric K. Boulianne), dont le type d'humour - il a notamment oeuvré sur Menteur et Avant qu'on explose - est aux antipodes du sien.
Cela se fait également ressentir du côté de la trame narrative, plus structurée que les précédentes, qui laisse moins de place à l'errance et à l'exploration. Savoureux à ses heures, le récit traîne toutefois un peu en longueur, ouvrant plein de portes sans nécessairement les franchir. ou les refermer
Avec ce sujet particulièrement ambitieux, le cinéaste s'en donne à coeur joie, soignant comme toujours sa mise en scène tout en offrant des plans d'une somptueuse beauté où la couleur rouge mène le bal. La photographie de sa complice Sara Mishara s'avère encore une fois impressionnante, tandis que les mélodies d'Organ Mood explorent un genre musical qui sied parfaitement à l'ambiance en place.
Puis il y a les talentueux comédiens, véritables vecteurs des fous rires et des émotions véhiculés à l'écran. Steve Laplante excelle peu importe le registre demandé et il est appuyé d'une solide distribution, qui comprend la toujours juste Larissa Corriveau et l'hilarant Denis Houle, l'inoubliable Monsieur Craquepoutte de l'émission Toc toc toc. La façon dont les personnages deviennent les doubles de ceux envoyés en orbite apporte une réflexion probante sur le jeu d'acteur.
Ils « jouent à », comme Viking joue à être un film de science-fiction, clins d'oeil à l'appui à 2001: A Space Odyssey, ce qu'il n'est jamais réellement. Il s'agit plutôt d'une allégorie décalée - qui n'est pas sans rappeler celle de The Lobster de Yorgos Lanthimos - sur la difficulté de vivre ensemble et de cette nécessaire quête identitaire. Même en mode mineur, Stéphane Lafleur rappelle qu'il est un de nos plus grands réalisateurs, proposant un long métrage d'une folle originalité. En voilà un qui nous avait manqué!