Denis Côté est probablement le cinéaste québécois vivant dont la filmographie est la plus spécifique et personnelle. À chacun de ses films, on est à la fois entièrement dans la logique intransigeante d'un film de cinéphile, éduqué au cinéma (c'est ce qui lie, selon moi, les membres présumés de la « Nouvelle Vague du cinéma québécois », mais c'est un autre débat), et ailleurs, dans une région inexplorée de l'étude d'obssessions tirant vers l'étrange, la marge, le mésadapté. Pourtant, ce n'est étrange que parce que le cinéma a créé chez nous des habitudes, que Côté, comme Haneke d'une certaine manière, se plaît à déjouer.
Vic + Flo ont vu un ours est l'un des exemples le plus probants de ce processus (avec Curling, sorti en 2010). Les réflexes du spectateur en sont pratiquement le sujet; déjouer ses attentes, le frustrer, devient presque le but. À condition que le spectateur puisse vivre le « plaisir » d'être mainpulé ainsi par un médium qui en a le pouvoir. Juste parce que.
Le grand talent de Denis Côté, comme toujours mais particulièrement cette fois-ci, est de définir habilement et rapidement les personnages, par de courtes scènes juste assez révélatrices pour qu'elles ne paraissent ni forcées, ni appuyées. Les comédiennes, Pierrette Robitaille en tête, y contribuent aussi par leur jeu senti et tout en retenue. Marie Brassard et Romane Bohringer sont aussi très efficaces, chacune trouvant le juste ton pour donner la réplique à P. Robitaille qui défend un personnage qui offre peu à ses compagnes, tout en exigeant beaucoup. Un exemple de subtilité. Marc-André Grondin démontre quant à lui une nouvelle fois que son jeu se raffine et gagne en maturité.
La réalisation - le générique d'ouverture est génial - cerne aussi rapidement ce « terrain de jeu » (on devrait dire ce « piège ») qui sera le théâtre d'un récit simple, mais solide et habilement construit. Les intrusions poétiques, sine qua non, sont aussi efficaces excepté le dénouement, qui étire inutilement l'idée de souffrance, brimant la force poétique du choix que fait Côté. Un choix qui est pourtant inéluctable, qui convient parfaitement à cette fable qui devient tragique parce qu'il ne peut en être autrement.
Vic + Flo ont vu un ours n'est bien évidemment pas un film pour « tout le monde », bien qu'il serait grandement profitable que « tout le monde » le voit. Et non, pour régler la question tout de suite, il n'y a pas d'ours. C'est un film où il y a des pièges [...], une ambiance pesante et une signature forte qui est celle de Denis Côté. C'est un film qui a beaucoup à dire et qui ajoute en profondeur à une filmographie unique, sans en être le fleuron.