L'indispensable cinéaste italien Nanni Moretti réenchante le réel par le moyen de la fiction avec Vers un avenir radieux, une oeuvre irrésistible à classer parmi les meilleures de 2023.
La dernière fois que nous avons eu des nouvelles de Nanni Moretti, c'était pour Tre piani, un drame lourd et sans grand intérêt qui n'a jamais pris officiellement l'affiche au Québec. Comment se relever de son pire film en carrière? En signant l'un de ses meilleurs!
Pour y arriver, il renoue avec la chronique qui a fait sa marque de commerce. Celle d'Aprile et, surtout, Caro Diario, dont il distille de nombreux clins d'oeil, que ce soit la jolie affiche du long métrage, cette façon de jouer au football pour s'aérer l'esprit et de se perdre dans l'architecture romain.
Le mode autoréflextif va comme un gant au barbu le plus attachant du septième art et l'acteur réalisateur trouve un nouvel alter ego à sa hauteur. Il incarne Giovanni, un metteur en scène bourru, égocentrique et en décalage avec son époque. Une sorte de Rémy Girard qui jouerait dans un Testament de qualité, où l'amalgame avec la satire, l'ironie et le cynisme serait parfaitement dosé. Le tout sans jugement réactionnaire.
Notre héros est en train de tourner un film sur le Parti communiste italien en 1956. Pendant que l'armée soviétique éradique une révolution populaire dans les rues de Budapest, un cirque hongrois s'installe près de Rome.
Toute cette partie évoque la façon dont les grandes utopies sont muselées et réduites au silence. La politique et la lutte des classes font partie de l'ADN italien et l'ouvrage le rappelle de façon nostalgique et mélancolique.
Pour atténuer ce réel désenchanté, le cinéaste utilise la fiction et l'enchante à nouveau. Le cinéma permet non seulement de jouer avec l'Histoire, mais d'en créer des variations plus satisfaisantes. De cicatriser les plaies du passé et de faire germer l'idée d'une vie meilleure.
Vers un avenir radieux devient ainsi une formidable lettre d'amour au septième art. Le scénario foisonne de trouvailles cocasses, pas nécessairement révolutionnaires, mais ô combien efficaces. De cette comédienne qui se met à improviser à l'équipe technique qui connaît des ratés, il y a de quoi sourire amplement.
Surtout que les dialogues sont savoureux et que le script ne manque pas de tirer sur tout ce qui bouge. Un long et hilarant segment décortique la violence au cinéma (le propos avait déjà été abordé dans Caro Diario), tandis qu'une délicieuse séquence s'attaque à la standardisation de l'art proposée par Netflix.
Le tout est accompagné d'hommages et de citations. À Fellini, évidemment, dont l'ombre de 8 1/2 plane sur le récit. Mais également à Cassavetes, Allen, Kieslowski et même Jacques Demy, où une scène de l'effort se transforme pratiquement en comédie musicale. À ce sujet, tous les moments où le protagoniste rêve qu'il réalise une romance avec de vieilles chansons italiennes sont simplement délectables.
Comme à ses habitudes, l'homme derrière le bouleversant La chambre du fils (Palme d'Or en 2001) parle beaucoup de lui et cela finit par inclure des séances chez le psychanalyste. Entre une épouse productrice qui veut rompre et une fille compositrice qui présente son nouvel amoureux à ses parents, les sources de conflits - et de rires - sont nombreuses pour Giovanni. Elles permettent non seulement à Vers un avenir radieux d'être le film le plus drôle de l'année, mais également l'un des plus tendres et des plus humains.
Nanni Moretti saisit parfaitement l'art de l'autodérision et il s'en donne à coeur joie, poussant la chansonnette plus d'une fois. Il est entouré de comédiens aguerris qui lui remettent constamment la monnaie de sa pièce. Si l'acteur prend généralement toute la place, le réalisateur offre un minutieux travail de mise en scène, liant parfaitement les différentes structures narratives. Tout coule de source et ce n'était pas évident avec un matériel aussi ambitieux.
Ce qui pouvait manquer à l'ensemble, c'est une émotion profonde qui marque le spectateur au fer blanc. Le long métrage déambulait jusque-là sur un mince fil entre l'humour désespéré et la désillusion. Non seulement le cinéma ne vit pas son âge d'or, mais le propos dessiné dans la mise en abyme - la véritable essence de la gauche et du communisme - s'en va droit dans le mur et risque de se terminer de la pire façon possible. Cela n'empêche pas Moretti d'avoir foi en l'avenir, à la fois politisé et cinématographique. Parfaite, sa conclusion rend les yeux tristes dans sa façon d'évoquer les fantômes du cinéma italien (le dispositif n'est pas sans rappeler le génial Amarcord de Fellini) et ceux de ses oeuvres antérieures. De quoi en ressortir tout ragaillardi, le sourire aux lèvres et le coeur plus léger.