Brad Pitt et James Gray s'embarquent dans un voyage phénoménal avec Ad Astra, une majestueuse épopée de science-fiction qui est également un des meilleurs films américains de l'année.
Le cinéaste James Gray raffole d'odysées incroyables (The Lost City of Z, The Immigrant) et d'histoires familiales prenantes (Two Lovers, We Own the Night, The Yards, Little Odessa). Avec cette nouvelle oeuvre, sa plus ambitieuse à ce jour, il se permet les deux.
Ce n'est pas parce que l'action se déroule sur Terre, dans l'espace, sur la lune, sur Mars et sur Neptune que le ton ne peut pas être intimiste. C'est le cas de cette périlleuse mission d'un fils astronaute (Brad Pitt) qui part à la recherche de son paternel disparu dans les étoiles (Tommy Lee Jones). La quête du père s'avérant évidemment le thème de prédilection de cet immense opus.
Elle résonne comme les mythes grecs, ces tragédies incommensurables qui n'épargnent rien ni personne. La civilisation est au bord du gouffre, l'espoir pratiquement disparu et c'est au fils (le présent) de retrouver son paternel (le passé) afin de mieux le comprendre, réparer ses erreurs et renverser la balance.
Un devoir qui passe allègrement du personnel à l'universel. Devant l'absence de son principal modèle, fiston est devenu distant et dénué d'empathie, à l'image des Blade Runner de Ridley Scott. De l'exploration de la vulnérabilité masculine (où il ne faut évidemment pas montrer ses émotions), le long métrage opère un transfert plus large vers cette quête d'humanité mondiale. Il faut (ré)apprendre à créer des liens avec les autres et la nature avant qu'il ne soit trop tard.
Tout se joue chez le personnage du fils, un homme pragmatique qui fait passer son emploi avant son couple. Une figure capable de contrôler ses pulsions cardiaques. Ce qui en fait un bon citoyen pour ses employeurs, le considérant aussi fiable et fidèle que le robot de Metropolis...
Cet être taciturne enfermé dans sa prison de solitude n'est pas sans rappeler le Neil Armstrong défendu par Ryan Gosling dans l'excellent First Man. Brad Pitt s'efface complètement, privilégiant les non-dits et le non jeu, laissant à peine filtrer quelques larmes en retrouvant peu à peu son âme. Un véritable tour de force d'intériorité pour cette star trop souvent mésestimée, si truculente dans le récent Once Upon a Time... in Hollywood, et pour qui 2019 constitue sa meilleure année depuis 1995 et ses inoubliables Seven et Twelve Monkeys.
Mais Ad Astra constitue également une quête du père cinématographique. James Gray a toujours été fasciné par les aventures plus grandes que nature comme Moby Dick et Heart of Darkness (le livre qui a inspiré Apocalypse Now, qui sert ici de référence tant la structure dramaturgique est la même). Conscient que le septième art hollywoodien est peut-être mal en point (comment un metteur en scène comme lui qui n'a aucun mauvais film à son actif est si peu connu dans son propre pays?), il fournit une de ces sagas à couper le souffle en ravivant les fantômes des maîtres d'antan, évoquant notamment l'esprit de 2001: A Space Odyssey et en se concentrant particulièrement sur le Solaris de Tarkovski. Tout en cohabitant avec ses contemporains dont il peut se rapprocher, que ce soit Interstellar, Gravity et High Life.
Il ne se complait pas dans le passé pour autant, s'en affranchissant en imposant sa vision unique: celle d'un classicisme qui tente de faire revivre l'essence des films américains des années 70 - cette grande époque où les titres de qualité plaisaient à un large public - en 2019. Sa réalisation maîtrisée offre ainsi son lot de scènes d'action excitantes et viscérales, ainsi que des moments de détentes plus philosophiques et métaphysiques. Le travail singulier sur le son, l'éclairage et la musique - de Max Richter! - demeure en tout point remarquable. Sans doute que le rythme lent et le manque d'humour pourront jouer contre lui. Tout comme ces invraisemblances tardives et cette finale inutilement explicative qui gâchent un peu la sauce. Sauf que ce ne sera pas suffisant pour entacher cette aura qui resplendit constamment, faisant triompher une poésie mélancolique belle à pleurer.