Depuis qu'il est sorti de sa retraite, Steven Soderbergh s'amuse comme un petit fou. D'abord avec l'hilarant Logan Lucky qui permettait aux moins nantis de prendre leur revanche sur le système. Puis avec le surprenant Unsane, un titre à petit budget qui se classe dans la catégorie expérimentale de son oeuvre (aux côtés de Schizopolis, Bubble et autres The Girlfriend Experience).
Le récit qui n'est pas sans rappeler son propre Side Effects plonge son héroïne (Claire Foy) dans un véritable cauchemar. Internée contre son gré dans un hôpital psychiatrique, elle doit affronter l'homme qui la harcèle depuis des lustres. Mais est-ce réellement le cas? Entre le rêve, la réalité et la folie, il n'y a qu'un pas qui est facile à franchir. Un synopsis éprouvé qui ne joue pas tant dans les plates-bandes du suspense - ce n'est pas Shutter Island ou A Cure for Wellness - que de la satire. Le long métrage doté d'un humour noir ravageur ne manque pas d'égratigner le monde qui nous entoure, se moquant à la fois du système qui rend cinglé que des lieux de guérison obsédés par l'argent. Une multitude de thèmes qui font sourciller, rappelant malheureusement cette société bien-pensante et déshumanisée qui juge ses semblables, et principalement sa population féminine en ne croyant pas ce qui leur arrive.
Cette paranoïa généralisée monte en flèche et explose avec quelques retours dans le temps trop explicatifs et un caméo d'un acteur très connu. À partir de là, l'ensemble se transforme presque complètement, troquant ses réflexions probantes pour une efficacité de chaque instant. Comme si le metteur en scène rêvait de faire un film d'exploitation et qu'il écoutait finalement ses pulsions. Cela donne des ruptures de ton, un balancement dans le n'importe quoi et une tonne d'invraisemblances. Mais également du bonheur à la tonne, de la violence, de l'hémoglobine. C'est sans doute trop facile et indigne du talent de Soderbergh, mais s'il a le goût de se muter en émule de Brian De Palma, pourquoi l'en empêcher?
Claire Foy demeure digne dans tout ce qui lui arrive. Ce rôle, exigeant physiquement et mentalement, l'amène à se surpasser, à faire croire à une certaine logique lorsque c'est justement le chaos qui s'accapare la part du lion. La comédienne est entourée d'une distribution qui tombe volontairement dans les stéréotypes, l'exemple le plus effarant étant Juno Temple qui cabotine à outrance. Ce n'est pas le cas de Joshua Leonard, le potentiel méchant de l'histoire, qui rend inconfortable avec ses regards de taupe et sa barbe douteuse. Voilà probablement la plus grande figure de vilain vue depuis Will Poulter dans Detroit. Une étonnante scène tardive de confinement entre Foy et Leonard pousse la manipulation à son paroxysme alors que chacun tente de jouer dans la tête de l'autre.
Après avoir testé un nouveau modèle de financement avec Logan Lucky, le cinéaste se met à nouveau en danger. Unsane a été tourné en secret à l'aide d'un iPhone. Cela explique son esthétisme particulier, qui ne plaira pas à tous. Les 15 premières minutes sont d'ailleurs un véritable test d'endurance, alors que l'absence totale de rythme fait en sorte que l'on remarque plus facilement ces textures étranges, ces couleurs trop claires ou foncées. De quoi regretter le travail de Sean Baker sur Tangerine, qui s'avérait beaucoup plus élaboré avec ce même procédé technique. On finit toutefois par s'y habituer et par apprécier sa fluidité, ses angles originaux. Cette laideur palpable à l'écran, n'est-ce pas une façon de matérialiser ce passé traumatisant qui revient subitement hanter, cet emploi pénible et peu motivant, l'enfermement à l'hôpital? Une technologie qui, justement, finit par lover les êtres dans des bulles de solitude. Le tout est accentué par un montage tranchant (avec un hommage à Requiem for a Dream à l'appui) et une musique angoissante.
À prendre ou à laisser, Unsane est une création malade à bien des égards, même de la part de Steven Soderbergh. S'il n'a toujours pas renoué avec la vigueur des beaux jours depuis son retour au cinéma, son désir de s'affranchir des règles en place ne peut que forcer l'admiration. Rien ne semble à son épreuve. Surtout pas de secouer les genres avec ses thèmes éclatés, tout en repoussant les possibilités de sa caméra. Le résultat, forcément inégal, n'en demeure pas moins attrayant, donnant régulièrement froid dans le dos, jusqu'à cette finale particulièrement réjouissante. Ce n'est peut-être pas Get Out, mais ce n'est pas loin pour autant.