Avec le décès d'Agnès Varda, Claire Denis est devenue la plus importante réalisatrice vivante. De son fabuleux premier long métrage Chocolat en 1988 à son exquis Un beau soleil intérieur qui a pris l'affiche l'année dernière au Québec, elle est parvenue à construire une oeuvre unique, exigeante et nécessaire. Son gigantesque High Life ne fait pas exception, s'avérant un de ses sommets en carrière.
La cinéaste aura rarement été aussi loin dans sa façon de montrer la solitude - un de ses thèmes fétiches - qui surplombe l'être humain. Un isolement qui prend ici la forme d'une prison errant dans l'espace, fonçant droit vers un trou noir! Ce qui peut sauver l'humanité et par conséquent la Terre est une ouverture aux autres, une foi aveugle envers l'amour filial.
Ce postulat un brin naïf ne prend jamais la forme d'un récit balisé. Bien au contraire! Tout est mis en place pour soutirer le maximum du médium. Il y a d'abord ce récit morcelé et plein d'ellipses qui semble défiler à sa guise dans l'espace-temps en suivant sa propre logique. Cette écriture foisonnante qui multiplie les hyperboles et les métaphores jusqu'à plus soif. Puis cette mise en scène riche de silences et de non-dits, qui ose poésie et ralentis aux endroits les plus insoupçonnés, créant une tension avec la trame sonore minimaliste de l'éternel complice Stuart A. Staples (leader de la formation culte Tindersticks).
Le cinéma sensoriel et sensuel a toujours été au coeur des visées de son auteure, qui le met littéralement dans ses enjeux scénaristiques, alors que les fluides du corps sont utilisés tout au long du récit pour donner la vie ou du moins la conserver. Une incroyable exploration des tabous et du désir qui culmine avec la plus belle scène masturbatoire de l'histoire du septième art. Non, on ne verra plus jamais Juliette Binoche de la même façon.
C'est pourtant Robert Pattinson qui domine cet opus inclassable de son charisme imparable. Depuis que David Cronenberg l'a libéré de ses chaînes dans Cosmopolis, la star de Twilight a rarement déçu. Il met son statut d'icône au service d'un nouveau trip qui aura sans doute autant d'admirateurs (c'est tout simplement brillant) que de détracteurs (les adeptes de créations plus conventionnelles et émotionnelles au rythme alerte se retrouveront vite sur la touche).
Claire Denis utilise le genre de la science-fiction pour le détourner de ses codes. Si les hommages aux maîtres y sont (d'Andreï Tarkovski à Stanley Kubrick, en passant par Ridley Scott et Jonathan Glazer), c'est pour mieux se rapprocher de l'essence familiale d'un Yasujirô Ozu et, pourquoi pas, de l'apocalypse du First Reformed de Paul Schrader. De sonder l'environnement et l'âme humaine au fil d'une démonstration riche et marquante d'images inoubliables, que l'on interprètera à sa guise.
Voilà certainement un film que l'on voudra voir en de nombreuses occasions, à la fois pour l'analyser dans le détail que pour s'y perdre tant son pouvoir de fascination et d'hypnose est immense.