Deux décennies après son chef-d'oeuvre The Thin Red Line, Terrence Malick plonge à nouveau son regard unique dans les méandres de la Seconde Guerre mondiale par l'entremise de son magnifique A Hidden Life.
Ses fans seront toutefois rassurés: les radicales expérimentations godardiennes de ses trois derniers et mésestimés essais demeurent limitées, remplacées par un scénario plus narratif et traditionnel, inspiré d'une histoire vraie. On y retrouve son héros par excellence - l'homme perdu dans une société irrationnelle - qui hésite à se conformer aux exigences du pouvoir en place. Cela pourrait d'ailleurs coûter la vie à ce fermier autrichien (August Diehl), dont la crise existentielle ne pèsera peut-être pas lourd devant le régime nazi.
Ce qu'il y a de beau chez un véritable artiste, c'est que son style apparaît dès les premières secondes. C'est le cas de cet immense cinéaste qui débute par un écran noir et des sons d'oiseaux d'où émerge l'Enfer. Le Paradis ne tarde pas à le remplacer, d'abord à l'aide d'un plan fixe, puis d'un autre fulgurant en forme de souvenir où sa caméra fantomatique, ses paysages à couper le souffle et sa narration déchirante emportent le cinéphile vers le divin. Premier frisson d'un ouvrage qui en comporte plusieurs.
Ces séquences pourraient s'apparenter à une parodie, un procédé maniéré si le résultat n'était pas aussi probant. Et il l'est, bien que ses détracteurs resteront éternellement accrochés à ses classiques du passé qui ne seront, évidemment, jamais dépassés ou égalés.
Cela ne l'empêche pas de signer une nouvelle fresque lyrique, poétique et philosophique, centrée entièrement autour des éléments et de la nature. Qu'elle soit humaine, animale ou végétale, ses possibilités apportent l'espoir nécessaire dans un monde de plus en plus sombre et violent.
Face à la dureté de la guerre, le réalisateur répond par la splendeur de sa photographie. Les images sont à couper le souffle, élevant l'âme vers de nouveaux sommets, gracieuseté de Jörg Widmer qui n'a aucun mal à faire oublier le précédent travail de l'illustre Emmanuel Lubezki. Combiné aux mélodies spirituelles en place, le résultat n'est rien de moins que stupéfiant.
C'est d'ailleurs au sujet du sacré que s'interroge ce long métrage profond qui creuse le sillon de la foi comme pouvait le faire Dreyer à une autre époque. Malgré ses métaphores religieuses un peu insistantes, ses dilemmes moraux et son discours demeurent universels, revenant à l'essence même de l'acte de résistance. Celui de l'être humain doté de principes face à la folie environnante, qui trouve évidemment écho aux tragédies guerrières et environnementales actuelles, et qui transforme les individus ordinaires en héros obscurs. Mais également d'un metteur en scène qui fait fi des modes pour se laisser porter par ses envies et obsessions. Une liberté chèrement acquise lui permettant de s'élever encore davantage.
Peu importe si au demeurant, ses personnages s'avèrent inaccessibles. Ils représentent ces flammes dans l'obscurité, se dressant telles les figures de pureté des opus de Tarkovski. De véritables symboles de courage, d'humanité et d'amour qui trouvent la grâce dans la communion des acteurs August Diehl et Valerie Pachner. Qui sont entourés de comédiens impeccables, tels Matthias Schoenaerts et les regrettés Bruno Ganz et Michael Nyqvist. Bien que la vision de son auteur n'ait pas vraiment évolué dans sa façon de représenter le féminin, elle demeure tout de même moins archaïque que celle d'un Martin Scorsese.
A Hidden Life relève de la plénitude totale. Une méditation transcendante et émouvante qui prend son temps - près de trois heures - afin de foudroyer les sens et l'esprit. Une aventure comme il s'en fait peu et certainement le plus majestueux effort de son créateur depuis l'inoubliable The Tree of Life. Décidément, 2019 aura été une année faste pour le cinéma américain.