Une nouvelle compagnie de distribution vient de voir le jour au Québec. Le premier film que MK2/Mile End présente sur nos écrans est Une vie, le dernier long métrage de Stéphane Brizé. Un choix exemplaire, surtout que l'effort fait un pont plus que nécessaire entre le passé et le présent.
Pour ce cinéaste français adepte de mélancolie, il est presque normal de se tourner vers la littérature romantique du 19e siècle. Et quoi de mieux que d'adapter Maupassant en gardant l'essence du texte original tout en y insufflant un véritable désir cinématographique. Ce qui aurait pu être classique, académique et ennuyeux devient racé et moderne, sans toutefois tomber dans les excès d'un Marie-Antoinette. L'esthétisme impeccable convie une élégante photographie et une impressionnante direction artistique à un jeu constant sur l'ombre et la lumière. Le tout est desservi par de délicates mélodies au piano-forte et un rythme harmonieux où défilent les saisons, pierre d'assise d'une réalisation ingénieuse qui donne la latitude requise aux ellipses.
Le plus haut fait d'armes de la mise en scène est d'opter pour un format d'image qui rappelle les photos polaroid. Le cadre enferme constamment son héroïne dans une prison, alors que l'on voit pratiquement son corps et son regard buter contre les contours. Un concept à la American Honey qui aurait pu être posé, mais qui permet au contraire d'être constamment au plus près du personnage principal : une femme qui ne connaît rien au monde et qui vivra une succession de deuils.
Comme les précédents et excellents Je ne suis pas là pour être aimé, Mademoiselle Chambon et Quelques heures de printemps de son créateur, Une vie s'intéresse de nouveau à un personnage qui a de la difficulté avec les mots et les sentiments. Jeanne a soif de bonheur, d'amour et de quiétude et elle apprend que le réel et la duplicité de la nature humaine sont tout autres. Au lieu de se résigner, elle continue de rêver, ce qui provoquera moult drames et humiliations. Malgré ses souffrances, son désir de bonté et de beauté va droit au coeur, rappelant ces idéaux que l'on peut abandonner pour se plier au bon sens.
Il s'agit donc d'un autre film sur la fin des illusions, dans la lignée de l'éblouissant La loi du marché de Brizé. Bien que le contexte et l'époque soient différents, ce sont des figures naïves qui finiront par être broyées par le système, dans ce cas-ci du désir, de l'argent et du clergé. Toute l'attention est centrée sur les protagonistes et Judith Chemla offre une performance tout simplement renversante. La jeune actrice qui est nommée aux César pour cette prestation porte le long métrage sur ses épaules et elle le fait brillamment. Elle est entourée de solides comédiens, dont Jean-Pierre Darroussin et Yolande Moreau qui incarnent ses parents.
Lauréat du prix Louis-Delluc (le «Goncourt du cinéma»), Une vie est une oeuvre de lucidité noire qui offre une profonde compassion pour la condition humaine. Volontairement répétitif et mélodramatique, le récit finit par émouvoir et si la dernière phrase du film peut laisser un goût amer en s'avérant trop moralisatrice et réductrice, elle est exactement la même que celle du livre, offrant un peu d'espoir lorsque tout va mal. Un opus minutieux et rigoureux que l'on apprendra à apprécier dans sa durée et qui hantera une fois la tombée de son générique.