A Separation, du réalisateur iranien Asghar Farhadi, en lice pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, est un film à la hauteur de sa réputation; un film qui parvient à faire ce à quoi tous les films devraient aspirer, mais que bien peu sont en mesure d'accomplir : utiliser l'exemple pour parler du tout, l'anecdote pour parler de la société en entier, de l'infiniment petit pour parler de l'infiniment grand. De l'humain pour parler de la condition humaine. Voilà un film d'une grande beauté sociale et d'une grande complexité morale (les deux vont ensemble).
Le film se déroule en Iran, alors que Simin vient de quitter son mari Nader. Déjà, la bureaucratie les empêche de divorcer officiellement et la garde de leur fille de 11 ans demeure un sujet délicat, même s'ils se quittent en bons termes. Le départ de Simin force Nader à engager une aide-soignante, Razieh, une femme enceinte et très pratiquante qui vient travailler sans avertir son mari, pour s'occuper de son père malade. Un jour, une suite d'incidents cause une fausse couche. Le mari, un homme frustré et menaçant, est excédé par les lenteurs du système judiciaire et par les déclarations de Nader, qui prétend n'avoir rien à se reprocher.
La « séparation » en elle-même, quasi-anecdotique, est à la fois cause et conséquence de ces événements racontés si efficacement par le réalisateur dans un imbroglio moral, social et évidemment politique. Le cinéma iranien en est baigné, ne serait-ce que par l'oeil nord-américain avec lequel nous l'observons. Mais ici, il ne s'agit heureusement pas d'« exotisme » mais bien de curiosité, augmentée par la subtilité et l'oeil fin du réalisateur pour la condition humaine dans ce contexte inhabituel. Dans le film, les exemples de dilemme moral sont nombreux et ils utilisent une conception théorique de l'honneur (où le mensonge est proscrit, mais...) pour ajouter une puissance dramatique à des événements spécifiques, individuels en quelque sorte.
Ce n'est pas important que cette femme dans ce film ait perdu son bébé à la suite d'un accident ou d'un geste criminel, ce qui compte, ce sont les mensonges, les détournements de la vérité faits au nom de l'idée de « justice » (qui change selon les intervenants) et le regard porté par la jeune fille, Termeh, sur ses parents. Le film est moralement engageant puisque tout le monde est coupable; en fait, jusqu'à une délivrance finale qui vient un peu brouiller les cartes. Lors du dénouement, on identifie facilement le « fautif », le « responsable », alors que le film nous avait si savamment tenus dans le doute tout du long. Dommage, d'une certaine façon, qu'on ait répondu à cette question, on perd ainsi l'aspect universel du débat.
Mais Farhadi maîtrise merveilleusement un scénario exceptionnel, magnifiquement écrit, et dirige des comédiens talentueux et naturels. Sa réalisation est inspirée et sentie, sans se complaire ni se laisser aller dans les bons sentiments. Ces éléments contribuent à faire du film la grande réussite qu'il est; un long métrage incontournable, aussi engageant qu'il est fascinant.