Micheline Lanctôt demeure une des comédiennes les plus appréciées de notre cinématographie nationale. En parallèle de son métier d'actrice, elle développe depuis plusieurs décennies une carrière de réalisatrice, mettant en scène des films intimistes dénués de sentimentalisme qui questionnent la condition humaine.
C'est le cas de son nouveau long métrage, Une manière de vivre, qui englobe ses principales obsessions, et où elle s'intéresse aux crises existentielles de ses trois héros. Une psychanalyste récemment veuve (Gabrielle Lazure), sa fille escorte et boulimique (Rose-Marie Perreault) et un professeur de philosophie belge (Laurent Lucas) de passage au Québec sont à la croisée des chemins, ne sachant pas comment s'extirper de leur marasme et offrir un sens à leur quotidien vide.
Déjà la première scène donne la puce à l'oreille. Une voix hors champ, que l'on entendra à maintes reprises au cours du récit, parle de cette société des Hommes, de liberté. C'est lourd, didactique et moralisateur, comme une pénible introduction de cours de cégep. Puis il y a tout cet exposé théorique sur Spinoza pour plomber encore davantage l'ouvrage. Pas que son enseignement - sur les règles et les lois, les croyances et la raison, l'éthique et la morale, le Bien et le Mal - ne soit pas pertinent. Surtout en ces temps où la nature, dans le sens large du terme, prend de plus en plus d'importance. C'est seulement que la manière d'y arriver demeure académique et assommante.
Au moins, l'intrigue tient relativement bien la route. Tout n'est pas toujours crédible, sauf que l'interprétation d'ensemble s'avère de qualité. Rose-Marie Perreault est un véritable joyau à regarder, modulant ses réactions et ses émotions sans aucune difficulté. Quelle grande star en devenir! Cela fait du bien de retrouver l'omniprésent Laurent Lucas dans un rôle aussi soutenu et la trop peu connue Gabrielle Lazure qui a enfin l'occasion de briller dans une production de la Belle Province.
Dommage que tout cela soit abandonné à mi-chemin, alors que les personnages féminins disparaissent littéralement de l'équation, laissant le philosophe errer - et se perdre - dans l'immensité du territoire québécois. Les thèmes sont aussi nombreux que les invraisemblances, qui finissent par faire hurler de rire par tant d'exagérations. En un tour de passe-passe narratif, il est possible de faire la paix avec la mort, de se rapprocher des nations autochtones et de prêter réconfort aux nouveaux arrivants.
Avant d'en arriver là, il faudra passer par la barbarie et la noirceur du monde, Montréal étant évidemment montré en reconstruction avec ses rues barrées. Est-ce une façon d'expliquer pourquoi la photographie est aussi sombre? Au moins, la mise en scène rugueuse demeure entièrement dédiée à ses sujets. Des êtres imparfaits qui retrouvent le goût de l'existence en aidant les autres. Un mince filet d'espoir qui ne coule pas de source et qui semble préfabriqué. Tout le contraire de ce qu'on peut retrouver, par exemple, dans le cinéma de Bernard Émond.
Une manière de vivre est constitué d'un bon fond, c'est indéniable. Les valeurs qui en émanent et ces mains qui se rapprochent en émouvront plus d'un. Sauf que l'exécution, aussi sincère soit-elle, est si maladroite et appuyée qu'elle finit par nuire à la démarche, au demeurant noble et nécessaire.