Grosse année pour Edgar Wright. Après son truculent documentaire The Sparks Brothers, le voici déjà de retour avec Last Night in Soho, un film de genre particulièrement décoiffant.
Le tout débute de façon classique, comme des centaines d'histoires qui l'ont précédé. Une jeune fille (Thomasin McKenzie) quitte son bled perdu pour la grosse méchante ville. Sa fragilité et sa naïveté ne l'empêchent pas de rêver grand. Surtout qu'elle possède un sixième sens pour voir des choses insoupçonnées. Mais gare à ne pas se faire avaler tout rond par les prédateurs qui rôdent.
Il est surprenant de constater que le créateur de The World's End est capable de se mesurer à un véritable sujet, complexe et bien de son époque. C'est la corruption de la jeunesse et la fin des illusions. Le désir de fuir le monde réel, les risques de s'éloigner du droit chemin, la maladie mentale et les spectres du passé qui reviennent hanter. Le tout étant gratifié d'une réflexion féminine à l'ère du #MeToo. On est loin des parodies Hot Fuzz et Shaun of the Dead.
Sauf que la plupart du temps ici, le cinéaste britannique fuit la profondeur pour embrasser le divertissement total. Comme dans son grandiose Scott Pilgrim vs The World, les maux du quotidien sont au service du style. Mais quel style! Les images du directeur photo de Park Chan-wook sont souvent éblouissantes, permettant une faste et opulente recréation du Londres des années 60. Toujours irréprochables, ses choix musicaux rivalisent avec ceux de Baby Driver.
Le sujet est prétexte à une quête identitaire, donc à une multiplication des miroirs. C'est Alice au pays des merveilles revisité avec du glamour, alors qu'un montage expert s'amuse à brouiller les pistes entre le vrai et le faux, entre le rêve, le fantasme, les hallucinations et la folie. Et lorsque le cauchemar horrifique explose, rien ne peut y mettre un terme, déployant quelques poursuites et affrontements qui glacent le sang.
Malgré ses emprunts directs au cinéma de Roman Polanski (Répulsion, Le locataire) et de Nicolas Roeg (Don't Look Now, Bad Timing), l'exercice finit par tourner en rond. Puis quand survient enfin la conclusion, après quelques longueurs et des revirements de situations dont il ne faut pas dévoiler la nature, l'impression est grande de lancer «Tout ça pour ça ». Ce qui n'enlève rien à la qualité du long métrage, aussi clinquant que ce qu'il tente de dénoncer.
Il confirme toutefois le grand talent de ses deux vedettes, d'abord découvertes dans la nature et qui tentent de conserver leur âme en centre urbain. Thomasin McKenzie (la révélation de Leave No Trace) est parfaite en amante de la mode qui n'a peut-être pas toute sa tête. Face à elle brille également Anya Taylor-Joy (l'inquiétante héroïne de The Witch), dans un rôle plus difficile à jouer, car beaucoup moins développé. Elles sont entourées par deux acteurs mythiques, dont la filmographie iconique berce de nuances les personnages. Il y a la regrettée Diana Rigg (Emma Peel de la série Chapeau melon et bottes de cuir) qui apparaît pour la dernière fois à l'écran, et le toujours menaçant Terence Stamp (The Collector) qui s'est forgé dans les années 60 une réputation de dandy.
Impossible de s'ennuyer devant Last Night in Soho. La mise en scène est si stylisée et maîtrisée qu'on finit par oublier momentanément les largesses du script qui alterne sans subtilité entre la lumière et la noirceur. Pour une fois, Edgar Wright aurait pu proposer autre chose que le tape-à-l'oeil habituel, se mettre en danger, ce qu'il se refuse décidément de faire. Peut-être la prochaine fois...