Changement complet de ton pour Emmanuel Mouret après ses comédies guillerettes Un baiser s'il vous plaît et Changement d'adresse (oublions sciemment Fais-moi plaisir), qui étaient des petits bijoux de comédies romantiques sous lesquelles on ressentait une véritable intelligence malgré des airs naïfs. Une autre vie, son septième long métrage sorti en janvier en France, tire allègrement vers le mélodrame, et ce sans complexes. La musique pompeuse, les grands thèmes, la vie bourgeoise et le vent marin de la côte donnent à ce film une intention de « grand récit » que Mouret prouve maîtriser. Ah! cet amour dont on ne veut pas et nous tire pourtant vers lui...
Quand on y pense, ce n'était qu'une question de temps avant que Mouret réalise quelque chose qui ressemble à Une autre vie; il change de ton, mais pas de style avec ce film, lui qui demeure un cinéaste de dialogues et de malaises dont les mises en situation sont le véritable propos. L'attirance involontaire entre deux personnages est au centre du film comme il l'est ailleurs dans sa filmographie, et si le ton change, le charme opère tout de même.
Une autre vie découle certainement de son récent L'art d'aimer, qui avait permis une exploration de la mécanique mise en place dans ce nouveau film à travers le film choral, qui offre une multiplication des possibilités en plus de permettre le sketch (donc d'éviter la rigueur du long métrage). Le récit d'Une autre vie doit maintenir une cohérence globale de longue haleine, et il y parvient, en plus d'exploiter ludiquement l'idée de flashback (rendre un cadeau avant qu'on l'ait reçu, etc.). Mouret développe aussi dans ce film son langage cinématographique, qui était traditionnellement plus près du théâtre (quoique charmant tout de même) lors de ses films précédents.
Le travail des comédiens est au centre de la réussite (et le réalisateur le sait tellement qu'il ne s'y donne pas un rôle, comme il le fait parfois). Jasmine Trinca, une actrice italienne qui, avec son accent, son vague à l'âme et sa délicatesse, interprète avec beaucoup de coffre une pianiste classique amoureuse d'un électricien déjà en couple (avec Dolorès, interprétée par une habituée chez Mouret, Virginie Ledoyen, ici joyeusement déstabilisée). Une autre vie a aussi l'élégance de ne pas être une histoire de lutte des classes, alors qu'il pourrait l'être, pas plus qu'il n'est cette histoire d'amour impossible classique.
La grande surprise de ce film cela dit, c'est Joey Starr, un acteur qui sous ses airs rustres étonne dans cet univers. À chaque film, mais tout particulièrement ici, il démontre une grande finesse dans son jeu. Le contexte lui en donne l'occasion.
Oui, Une autre vie a quelques longueurs et ce n'est certes pas le film le plus inventif que vous verrez cette année. Mais il est bien fait, délicat, rempli de jolies petites scènes pas trop sérieuses qui sont juste jolies, et de ces scènes plus graves qui ont l'ampleur requise pour raconter une histoire. À ranger du côté des meilleurs de Mouret.