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La honte.
Si ces films ne sont pas tous des immanquables, Joachim Lafosse peut se targuer d'investir tous types de sujets et de nous avoir livré quelques perles de cinéma dramatique. Son nouvel opus pourra rebuter dans sa première partie, quelque peu opaque et neurasthénique, pour ensuite nous emporter de manière implacable dans le tourbillon de son sujet abrasif, risqué et particulièrement difficile qu'est la pédophilie. « Un silence » se voit autant comme un suspense à combustion lente que comme un drame familial feutré et froid. Sur ces deux versants, c'est réussi et impressionnant de maîtrise technique et narrative. Lafosse ne signe peut-être pas son meilleur film mais en tout cas un film qui marque les esprits et interpelle. En quinze ans, le belge Joachim Lafosse peut se vanter d’avoir déjà un beau palmarès filmique, la plupart de ces œuvres ayant été présentées en festival et très bien accueillies. Et aussi d’avoir fait tourner les plus grands, d’Isabelle Huppert à Virginie Efira en passant par le réalisateur Cédric Kahn. Il ne déroge pas à la règle ici en enrôlant un très beau et grand duo de cinéma personnifié par Emmanuelle Devos et Daniel Auteuil. Rien que ça! Il faut louer la diversité des sujets et des thèmes qu’il aborde dans un cinéma toujours sérieux et dramatique, pour ne pas dire tragique. Si son plus grand film reste la magnifique mise en images d’un sombre fait divers avec « À perdre la raison » avec Émilie Dequenne, où une mère finissait par tuer ses enfants, on l’a vu aussi parler de bipolarité dans son précédent long-métrage « Les Intranquilles » ou du problème de l’argent dans un couple après une rupture avec le bien-nommé « L’Économie du couple ». Ici, il parle d’un sujet hautement sensible, en l’occurrence la pédophilie, notamment dans les milieux bourgeois et sur Internet, et le traite encore une fois de manière admirable et frontale. On ne peut nier que durant les vingt premières minutes, on se demande un peu où on a mis les pieds tant « Un silence » s’avère peu aimable voire presque rebutant. Heureusement d’ailleurs que le cinéaste utilise un procédé un peu trop courant à l’heure actuelle et malheureusement souvent pour rien, ce qui n’est pas le cas ici : en l’occurrence le flash forward. Car si ce n’est cette première scène intrigante qui donne envie de voir comment et pourquoi on en est arrivé là, le début est plutôt mal aimable. Une fois passé cette entame un peu trop longue à démarrer, le film, de ses enjeux à son noyau dramatique, infuse doucement et nous tétanise, tel un poison lent. Et on ne pourra plus quitter l’écran des yeux, captivé par ce qui se joue sous nos yeux. Le sujet de la pédophilie au cinéma peut être éminemment casse-gueule s’il est mal traité. Rares sont les œuvres telles que le classique et magistral « Polisse » à pouvoir se vanter d’avoir parfaitement investi le sujet. Ici, il est pris de biais puisque ce sont plutôt les conséquences d’actes pédophiles sur une famille bourgeoise que l’on va devoir subir. Difficile d’en dire plus sans déflorer certains aspects de l’intrigue qui participent aux surprises du long-métrage, mais la manière dont cela est montré est plutôt impactante. Véritable maladie psychologique en même temps que fléau qui bousille des vies, on la montre également comme un facteur de honte pour l’entourage qui peut entraîner le déni. « Un Silence » va plus loin en montrant l’hypocrise extrême du personnage visé. Lafosse ménage ses effets et instaure une sorte de suspense coulé et insidieux dans cette tragédie familiale sombre. Il nous procure les informations au compte-gouttes, le spectateur allant de surprise en choc de manière parfaitement millimétrée avec un sens de la narration aiguisé. Sa mise en scène feutrée est coincée la plupart du temps dans cette grande maison bourgeoise où personne ne se parle. Elle accouche d’un environnement glacial et presque fantastique qui fait froid dans le dos, bien aidé par une partition musicale du même acabit. L’émotion a parfois peut-être plus de mal à nous parvenir tant tous les problèmes et secrets des personnages apparaissent comme figés dans un passé honteux ou inconnu. « Un Silence » est une expérience de cinéma exigeante et puissante à la fois dont on ne ressort pas indemne. Le talent d’Auteuil et Devos élève le film à un niveau encore plus intense. Le premier se pare d’un rôle déplaisant où ses errances, ses hésitations et son déni face à lui-même sont bien exprimés quand la seconde joue la peur de tout perdre et la colère intériorisée au plus près du réel. Voilà donc encore une œuvre forte et téméraire de la part d’un cinéaste belge qui ne cesse de surprendre et d’aller en quête des dysfonctionnements de l’âme humaine.
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