Difficile de retenir ses larmes devant Beautiful Boy, un opus puissant porté par un épatant duo d'interprètes.
Il faut du courage pour oser l'émotion. En mettre trop et on finit par noyer le poisson. En contrepartie, s'il n'y en a pas assez, l'impact sera beaucoup moins significatif. C'est sur cette fine et délicate ligne où se positionne sans cesse ce long métrage terriblement émouvant. Sur papier, les déboires d'une famille américaine dont le fils combat l'enfer de la drogue sent le mélo à plein nez. Sauf que l'effort n'est jamais trop lourd, car la beauté côtoie constamment la douleur.
Elle naît d'abord et avant tout chez les acteurs, d'une sensibilité à fleur de peau. En père dépassé par la situation, Steve Carell module son jeu à la perfection. Hormis son immense Foxcatcher, jamais l'humoriste n'aura été aussi juste. Toute la souffrance passe par son visage et cette lassitude se fait ressentir tel Sisyphe devant son rocher. Face à lui se trouve le plus intense Timothée Chalamet. La découverte de Call Me by Your Name incarne un junkie débarrassé de ses tics usuels, dont le charisme contraste avec la noirceur de son âme. L'entendre réciter du Bukowski offre d'ailleurs un sommet de frissons.
Cette véracité si importante au récit est également palpable dans la mise en scène de Felix Van Groeningen, le spécialiste des familles toxiques (Belgica, La merditude des choses). Sa caméra hyperréaliste et souvent en mouvement colle aux corps des êtres, ne faisant parfois qu'un avec eux. Puis il y a ce montage, de haut calibre, qui joue de points de vue sidérants et d'ellipses fascinantes, liant avec une rare force dramatique passé et présent. Comme toujours chez le réalisateur belge qui a été révélé à l'international avec The Broken Circle Breakdown, ses choix musicaux sont exemplaires, alternant cette fois Mogwai, Aphex Twin et Pan Sonic, jusqu'à un moment marquant où Sigur Ros fait son entrée. La chanson s'avère clichée et maintes fois utilisée, sauf que l'impact n'est pas négligeable.
Là où le bât blesse et agace quelque peu au passage est l'aspect conciliant du scénario de Van Groeningen et de Luke Davies (Lion). Cette histoire vraie est basée sur deux livres - celui du père et du fils - et le script n'est pas suffisamment détaché pour poser un regard empreint de recul sur ces tranches de vie. On encense un peu trop la quête presque mythique du patriarche (sorte d'Orphée qui se rend jusqu'aux Enfers) en négligeant la valeur des personnages secondaires. Si on rappelle la nécessité de consulter devant un tel fléau (tout en montrant cette série de hauts et de bas liés à la dépendance par l'entremise de répétitions voulues), le ton n'est jamais trop loin du traditionnel « la drogue, c'est mal », avec cette explication didactique des ravages du crystal meth. Ainsi la séquence où papa tente de comprendre le mal qui ronge son enfant en questionnant une jeune femme qui semble avoir des problèmes similaires jure avec l'ensemble tant elle est appuyée et moralisatrice.
Même s'il est manipulateur à ses heures et que le sujet n'est pas nécessairement abordé avec originalité, on ressort bouleversé de Beautiful Boy, un petit film qui va droit au coeur et qui hante par ses performances exceptionnelles. D'aucuns seraient surpris si Timothée Chalamet et Steve Carrell se retrouvent d'ailleurs aux Oscars. Cela serait pleinement mérité.