Le cinéma de genre est en train de sauver le septième art américain. Non seulement ces productions à faible budget rapportent beaucoup d'argent, mais elles attirent maintenant les plus grands noms tout en faisant le plein d'Oscars. Le dernier titre en lice qui frappe fort est A Quiet Place.
La réussite de ce film tient pourtant du miracle. Sorte de Ben Affleck des pauvres, l'acteur John Krasinski était 0 en 2 derrière la caméra. Mais comment l'homme qui a offert le verbomoteur Brief Interviews with Hideous Men et l'ultra-collant The Hollars a pu accoucher de quelque chose d'aussi haletant et différent? Bonne question.
La prémisse de Bryan Woods et de Scott Beck - les spécialistes des bois hantés - joue pour beaucoup dans l'équation. Sans révolutionner le suspense familial et apocalyptique comme It Comes at Night avec cette menace qui plane à l'extérieur, leur scénario s'avère efficace. De mystérieuses bêtes sauvages trucident tout sur leur passage dès qu'ils entendent le moindre bruit. Le récit un peu lent à démarrer atteint sa vitesse de croisière à mi-chemin, levant allègrement la tension en place. Et s'il n'y a rien de particulièrement effrayant, les séquences puissantes se succèdent au tournant, dont quelques-unes rappellent Don't Breathe (ou Jaws pour les cinéphiles plus âgés).
La mise en scène maîtrisée fait le reste. En campant l'action dans un monde de silence, Krasinski opte pour un film pratiquement muet, dont les sons accentués ne peuvent que faire sursauter. La photographie majestueuse de Charlotte Bruus Christensen (qui a beaucoup travaillé avec Thomas Vinterberg) est plus éloquente que tous les dialogues de la planète. Les rares échanges parlés sont d'ailleurs les moments les plus faibles du lot. Évidemment, on aurait aimé que le créateur aille jusqu'au bout de sa merveilleuse idée et qu'il n'utilise pas la musique à toutes les sauces. Cette dernière demeure de qualité (normale, elle est de Marco Logan Beltrami), quoiqu'elle prend parfois trop le spectateur par la main.
Devant faire passer les moments de peur, d'émotions et aussi d'amour par leur simple corps, les comédiens semblent tirer profit de cette contrainte. John Krasinski est plus que potable en émule de Hugh Jackman, barbe comprise. Emily Blunt, son épouse dans la vraie vie, est encore plus nuancée, alors que son visage reflète magnifiquement la lumière. Puis il y a leurs progénitures, Noah Jupe (Suburbicon) et surtout Millicent Simmonds, déjà excellente dans le Wonderstruck de Todd Haynes, qui vole à nouveau la vedette en adolescente souffrant de surdité.
À l'instar des plus grandes oeuvres psychologiques des dernières années (Take Shelter, The Witch...), A Quiet Place est bien plus qu'un simple thriller horrifique. On se retrouve également devant une métaphore de la famille et de la difficulté d'être parent, alors que chacun des membres ignore comment réagir face au décès d'un des leurs. Personne ne parle et on se terre alors dans l'isolement et le silence le plus total. Ayant mis sa patte au script, le cinéaste l'a rendu plus personnel, préférant généralement la mélancolie à l'humour. Une sobriété qui lui permet d'inscrire son opus dans une américanité que n'aurait pas reniée M. Night Shyamalan de l'époque de Signs.
Solide objet de cinéma, A Quiet Place passe allègrement de la série B avec ses effroyables monstres qui avalent tout rond des ratons laveurs à l'émouvante réflexion sur le deuil. Porté par sa distribution impeccable et ses courageux choix de mise en scène, le long métrage en captivera plus d'un. Surtout que l'on assiste possiblement à la naissance d'un réalisateur, ce qui n'arrive pas tous les jours.