Fernande Bouvier est une femme sans intérêt, talent ou qualité, mais elle est tout de même la vedette du troisième long métrage d'Olivier Asselin, Un capitalisme sentimental. Sorte de fantaisie visuelle, intellectuelle et artistique à la fois, le film surprend par sa folie exacerbée et la justesse de son analyse, qui risque d'occuper tous les professeurs d'études cinématographiques pour un bon moment. Le personnage de Paul Ahmarani dira, avec beaucoup d'esprit (ce n'est pas ça qui manque ici) : « C'est de l'art! Je ne comprends rien, mais je ressens tout. » À travers ce personnage, en particulier mais pas seulement, Asselin, qui cumule les emplois de professeur et de cinéaste, commente cette hypocrisie de l'art qui se transpose maintenant à l'économie. Ou alors est-ce l'inverse?
Lorsqu'elle quitte pour Paris avec la ferme intention de devenir « artiste », Fernande Bouvier ne se doute pas qu'elle se destine à une vie de misère dans une chambre mal-chauffée. Avec son amant Max Bauer, lui-même un artiste incompris, elle survit difficilement, jusqu'à ce que deux industriels prospères et un économiste surdoué prennent un sinistre pari qui fait de Fernande la première personne cotée en bourse. Un pari qui va mener Fernande à New York à l'aube du krach de 1929.
L'imagerie construite de bouts de ficelles et de décors d'Un capitalisme sentimental semble être une suite de défis budgétaires éminemment relevés, de l'envoûtante New York à la Ville-Lumière. Avec un sens confirmé du punch, Asselin parle autant d'art que d'économie en admettant d'abord toute l'artificialité du processus, qu'il soit cinématographique ou publicitaire. Impossible de ne pas y percevoir un lien probant avec cette hégémonie du « maketing » qui fait de films bancals des succès qu'ils ne méritent pas, d'autant qu'Asselin prouve à maintes reprises la complexité et la profondeur de sa réflexion artistique qui, lucide, n'élimine pas l'aspect économique. Voilà qui est plus postmoderne encore que les décors et les interprétations délibérément distanciées des comédiens (qui ne va pas tellement bien à Sylvie Moreau, soit dit en passant) et qui annonce la mort de cet Artiste éternellement incompris qui refuse de faire des compromis. Ce n'est plus viable aujourd'hui.
Malgré la lourdeur de sa réflexion, Un capitalisme sentimental est un film rafraîchissant et ludique qui inclut danse et chanson, en plus d'un humour fin et jamais fortuit. Les comédiens, Alex Bisping et l'impudique Lucille Fluet, surprennent tour à tour avec des numéros de cabaret et une dévotion dignes des plus grands acteurs des années 30. Malheureusement, les séquences n'ont pas toutes la même efficacité et certaines répétitions, surtout lors de la finale, viennent déprécier légèrement la valeur de l'ensemble.
Et avec des succès musicaux instantanés comme « 1929 Is Gonna Be The Best Year of Our Lives » et « At The Stock Exchange I Get Sentimental », il n'y a aucune raison pour qu'Un capitalisme sentimental ne devienne pas une meilleure expérimentation cinématographique et artistique que n'importe quel cours magistral de cinéma. Histoire d'amour improbable, Un capitalisme sentimental est à la fois pareil et très différent dans ce qu'il pose une question mille fois soulevée (quelle est la valeur de l'amour?) en s'interdisant de donner une réponse ready-made.
L'imagerie construite de bouts de ficelles et de décors d'Un capitalisme sentimental semble être une suite de défis budgétaires éminemment relevés, de l'envoûtante New York à la Ville-Lumière. Avec un sens confirmé du punch, Asselin parle autant d'art que d'économie en admettant d'abord toute l'artificialité du processus, qu'il soit cinématographique ou publicitaire.